2) ce qui pousse à agir
(Des aspirations à la satisfaction des besoins)
Lorsqu’un niveau de besoin est atteint l’individu (l’individu, de manière générale, le salarié, en l’occurrence) cherchera à satisfaire le niveau supérieur. Ce qui signifie qu’à chaque fois qu’un niveau de besoin n’est pas satisfait, le salarié se raccrochera au niveau immédiatement inférieur.
MAIS, la validité de ce classement hiérarchique n’a pu être vérifié en pratique ; comme nous allons le voir, la réalité n’est pas aussi statique. Elle présente des va-et-vient entre les différents besoins.
Cependant, ce classement constitue un instrument méthodologique que McGrégor et Peter Drucker ont utilisé pour élaborer la notion de direction par objectifs plutôt que par contrôle.
Ce principe inspirera, aussi, vingt ans plus tard Inglehart dans ses travaux sur le post-matérialisme et Paul-Henri Chombart de Lauwe qui a cherché à établir une sociologie des aspirations. Ce sur quoi nous reviendrons un peu plus loin. Comme eux dans leurs recherches, nous garderons la présentation habituelle sous forme de pyramide de la hiérarchie des besoins de l’homme définis par Maslow car elle facilite notre compréhension initiale et nos interprétations.
Échelle de la hiérarchie des besoins selon Maslow dite « pyramide » de Maslow
(cliquez sur l’image pour l’agrandir)
La pyramide de Maslow nous permet de situer dans sa hiérarchisation, les besoins des salariés-individus. Pour nous expliquer nous aborderons la notion de confiance ; parce-que nous avons pu constater dans nos prestations ISRI que la satisfaction des différents niveaux de besoins de cette hiérarchisation se déroule chez le salarié dans un climat de confiance et aboutit à un résultat efficace en terme de quantité, qualité et délai.
De plus, la confiance semble être un supra besoin, une condition à satisfaire réciproquement d’autres besoins. Ce qui va nous permettre d’élargir nos interprétations sur des besoins dont la satisfaction conditionne d’autres besoins.
La confiance est un élément souvent énoncé par les salariés lors de nos entretiens sur le terrain dont nous pouvons donner deux interprétations des conditions de sa réalisation.
L’une à connaissance consciente, sanctionnée par les attentes fondées du salarié, par exemple, la reconnaissance d’un projet mené.
L’autre qualifiant un certain type de rapports humains. Par exemple, une forme d’amitié bienveillante autorisant des liens de solidarité sans obligatoirement aller jusqu’à l’intimité.
La confiance s’établissant par le moyen d’échanges particuliers (obligations, solidarité, par exemples) définies par des relations asymétriques que chacun occupe dans l’organisation. L’une et l’autre de ces explications conduisant le salarié, dans l’organisation, à satisfaire un besoin relationnel.
Pour résumer, si un climat de confiance est présent (satisfait) il devient possible de s’engager (mais pas obligatoire ! D’autres éléments peuvent jouer, nous allons le voir) dans un (des) projet(s) et/ou rendre possible la satisfaction d’un besoin de lien social lui même basé sur la recherche de satisfaction d’un besoin d’échanger. C’est au fond l’argument de Maslow : satisfaire un niveau de besoin afin de pouvoir passer à un niveau de besoin supérieur.
Mais réciproquement, cet échange est aussi attente. Le salarié attend de celui avec qui il est en interaction qu’il agisse dans un cadre définit par sa position, son rôle, celui de supérieur hiérarchique ou de collègue de travail, d’adjoint ou de collaborateur, par exemple.
Ainsi, la relation d’échange devient indispensable pour comprendre le phénomène de changement parce-que sa réciprocité est conditionnée par la condition de confiance en tant qu’elle est attente, vis à vis de l’autre, du respect des règles connues des deux. La confiance comme une assurance, en quelque sorte ; l’assurance du respect des règles.
C’est la raison pour laquelle le rejet des règles exclut celui qui se rendrait coupable de transgression. Nous voyons là une sorte de « code interne » du comportement. Mais si les relations entre les salariés peuvent être réglées par l’échange basée sur la confiance, peut-on les comparer aux relations entre micro-groupes (les services, les équipes, les bureaux) ?
Ainsi, si les besoins de sécurité psychologique de la pyramide de Maslow (niveau 2) « ne peuvent pas être la base d’une motivation profonde et prolongée », l’originalité de l’environnement organisé de l’entreprise peut être situé à un autre niveau de cette hiérarchisation, précisément au niveau 3 : « besoins sociaux, besoins d’appartenance ».
Parce-que nous avons souvent relevé dans nos accompagnements ISRI que ce que semble voir le salarié de son organisation est une réponse à ses besoins d’appartenance à un groupe (le service, le bureau, l’équipe, l’agence…), c’est-à-dire à des micro-groupes
Paul-Henri Chombart de Lauwe, quant à lui, parle d’unité de vie sociale : « l’unité de vie sociale est une unité de vie quotidienne, une unité d’usage, une unité de relation […] Elle a une existence. » Chombart de Lauwe, P.-H., op. cit., p.128, voire à l’organisation toute entière aussi ou seulement.
A plusieurs reprises, au moment des entretiens que nous avons eu l’occasion d’effectuer dans les entreprises, les salariés ont exprimé cette appartenance. Dans certains cas, c’est l’étiquette du métier exercé qui autorise un sentiment d’appartenance.
A partir de là, nous pouvons voir cette appartenance micro-groupale (que d’autres appelleraient tribaleou unité de vie sociale) comme un « idéal communautaire », une reconnaissance à satisfaire.
Cette « organisation communautaire idéale » permet, dès lors, une double communication : intra-groupes (de salarié à salarié) et inter-groupes (d’un service à un autre service ou d’une équipe à une autre équipe, par exemple).
Ainsi, le besoin de relation ne se limiterait pas seulement à la satisfaction d’un besoin d’échange mais s’élargirait sur un besoin de communication en tant qu’échange. Notamment à partir de l’idée de réciprocité et de dépendance de l’échange. Il ne s’agit donc pas, ici, de communication en tant qu’elle puisse être émission – canal de transmission – réception – feed back. Ce qui veut dire au fond, la satisfaction des besoins d’échanges et de communication fusionnent pour satisfaire un besoin de relation.
Sur cette idée, John Adair ne distingue plus le but d’un projet et l’individu. Il inventorie les besoins de chaque projet selon trois orientations intimement liées :
- les besoins du projet, c’est-à-dire, définir, organiser, attribuer les tâches, contrôler la qualité et le rythme,
- les besoins du groupe, c’est-à-dire, être un exemple personnel, discipline, esprit d’équipe, motivation, responsabilisation, communication, formation du groupe et
- les besoins individuels (valorisation, connaissance de chacun, utilisation des capacités personnelles, formation).
Une telle fusion comprend entre autres : l’institutionnalisation du dialogue, une définition précise des tâches, une information rigoureuse, la fixation d’un ordre de distribution de celles-ci, le renouvellement de certaines fonctions.
Schéma de la fusion des besoins pour une communication en tant qu’échange
Ce schéma fait apparaître que les relations au sein des organisations s’inscrivent dans une interaction satisfaisant les besoins de communication en tant qu’échange des salariés.
Cette interaction, consiste en une multitude de situations où les salariés sont plus ou moins positionnés et/ou en attente/recherche de participation.
Simultanément, ces comportements prévoient évidemment l’élaboration d’un « code externe » définissant les rapports du groupe (le bureau, le service, l’équipe, l’agence, le site…) avec l’ensemble de l’organisation voire avec l’extérieur (clients, partenaires, relations, organismes financiers…).
Les points importants sont :
-
reconnaître, ici, le caractère interactif du groupe et
-
susciter aux salariés un comportement qui se conforme à ces codes (internes et externes). Suscitation exercée par le truchement de
valeurs englobantes, celles de l’organisation, d’où l’importance de l’existence de valeurs fortes notamment fondatrices.
Pour exprimer différemment ce dernier point, même s’il y a une distinction de l’organisation en plusieurs groupes (services, équipes…) qui suivent leur propres règles et qui ont une certaine autonomie les unes vis-à-vis des autres, l’image perçue des valeurs de l’entreprise a la pouvoir d’intervenir et d’influencer les relations à l’intérieur de l’organisation et des groupes. Ceci étant possible parce-que les besoins sont satisfaits dans le cadre d’échanges fondés sur une relation de confiance de qualité (code interne) dans une structure qui donne les moyens, forme une contingence, pour que cet échange existe (valeurs englobantes).
Si nous avons mis en évidence une corrélation entre la structuration en groupes de l’organisation et un « idéal communautaire » dans les groupes (qui, par déviance, peut engager une « guerre des services »), elle nous permet seulement de la voir en tant que psychologie de métavaleurs et métabesoins du salarié : la confiance, les échanges, la communication.
Ainsi, par là même, le salarié pourrait être vu plus passif qu’actif. C’est-à-dire, qu’il pourrait être considéré dans ses changements uniquement au travers de choix successifs liés à des intérêts plus ou moins grands.
Or, nous l’avons constaté particulièrement actif dans ses changements lors de nos prestations ISRI. Ceci s’est présenté dans les entretiens lors de situations où un même besoin peut s’énoncer, s’affermir et s’opérer graduellement.
Ici, se pose, donc, le problème de la satisfaction des besoins du salarié ou plus exactement la réalisation de ses aspirations. Nous voulons dire par là, l’espérance de voir se réaliser ses aspirations.
Chombart de Lauwe définit l’espérance en tant qu’elle : « correspond à une attitude globale de tout l’être qui, au delà des désillusions et des espoirs déçus, garde une raison de vivre malgré les échecs qu’il rencontre »
Espérance qui est donc (en même temps qu’elle permet) une dynamique à connotation positive (en l’occurrence l’engagement, la motivation) et autorise le salarié à s’engager, c’est-à-dire à faire évoluer ses attitudes et comportements. En un mot, changer !
Autrement dit, les aspirations peuvent jouer un rôle dans l’évolution des relations à l’intérieur d’un groupe voire dans toute l’entreprise.
Mais alors qu’est-ce qui motive ces aspirations ?
Pour suivre Maslow, c’est la satisfaction des besoins du niveau 4 qui va permettre de motiver le salarié.
Petite astuce à l’usage du responsable du changement :Ce besoin utilise des moyens comme l’implication dans la prise de décisions, des projets, donner la possibilité d’être fier de ce qu’on fait, de ce qu’on est, de se sentir capable de réussir ce qu’on entreprend, d’être respecté par les autres, d’être apprécié, reconnu, etc.Dans cet objectif, il faut se demander comment vos salariés expérimentent leurs propres valeurs comme objectif de changement. Ici, nous pouvons faire place à une vision globale des aspirations, qui inclut, non seulement les aspirations matérielles, mais également les aspirations sociales et de pouvoir. En substance :
- sur le plan matériel, le salarié changeant aspire à des conditions matérielles qui développent ses possibilités de développement personnel
- sur le plan social, le salarié souhaite l’estime, la reconnaissance de son engagement et de ses efforts, l’amitié, ainsi qu’un climat humain environnemental positif, de confiance ;
- sur le plan du pouvoir, le salarié souhaite comprendre ce qu’il fait, participer à l’orientation de ses activités, à leur organisation ainsi qu’au contrôle des résultats de son ouvrage.
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Maslow affirme qu’une fois les aspirations satisfaites, « un processus de développement personnel, de réalisation de soi, se déclenche chez l’individu et l’anime d’une manière dynamique. » Celui-ci entre alors dans la maturité et adopte un comportement d’adulte.
C’est ce que nous avait suggéré, sur le plan philosophique, Nietzsche dans « les trois métamorphoses » et que nous adaptons dans ce travail pour la cohérence de notre interprétation.
Le salarié (l’enfant de Nietzsche, c’est à dire l’adulte en devenir) est capable d’agir sur la réalité extérieure et maîtriser son environnement ; il soumet son action à l’épreuve des faits ; il unifie sa personnalité par son œuvre ; il n’y a plus d’écart entre le réel et la vision qu’il en a, il n’y a plus d’écartèlement entre ses aspirations et son ouvrage.
Le salarié est alors capable de construire, de créer ; et cette capacité est essentiellement dynamique. C’est ainsi que le salarié, qui remplit une mission volontairement choisie (en conséquence, dont il s’est rendu responsable), entre dans un processus de développement continu : il fixe plus haut l’objectif suivant et ainsi de suite jusqu’à la pleine utilisation de ses possibilités. Il change !
De la même manière, les conditions du comportement de maturation (maturité) se ramènent à la notion de responsabilité. Pour paraphraser Nietzsche : l’homme qui ne peut être responsable risque de ne jamais devenir un adulte, mûrir (évoluer donc changer).
Mais, l’exercice de la responsabilité suppose une certaine autonomie, une liberté dans le choix des moyens, une compétence suffisante et une possibilité de la développer, un certain contrôle sur les résultats de son travail.
Dans nos entretiens, sur le terrain, ces différents points de liberté, autonomie et responsabilité (qu’il faut comprendre, ici, en tant que choix), sont apparus de façon récurrentes. Ainsi, dans leur engagement, les salariés constatés changeants, font ressortir l’absence de divergence entre les aspirations personnelles et les possibilités offertes par l’organisation et les projets menés par leur service ou leur équipe. Ce qui témoigne de l’adéquation ou de l’influence de l’organisation de l’entreprise, d’une part ; celle des représentations du salarié et des systèmes de valeursdu service ou de l’équipe, d’autre part. |
Il est dès lors possible de faire un premier inventaire des besoins-aspirations du salarié changeant : reconnaissance et appartenance, autonomie et liberté, responsabilité.
Ces besoins-aspirations correspondent, dans nos prestations ISRI, soit à des éléments extérieurs, comme l’image, la notoriété de l’entreprise ou la liberté de choisir sa participation à un projet ; soit à des éléments subjectifs, tels la perception, le raisonnement et l’action de manière à transformer une situation existante ; soit les deux : extérieurs et subjectifs.
Paul-Henri Chombart de Lauwe suppose l’intégration sociale par une « aspiration à la considération » et « un besoin de ne pas être déconsidéré. »
A la reconnaissance se superpose « une aspiration à passer à un état jugé par lui [(le salarié)] supérieur, à obtenir des objets ou un statut auquel il ne pouvait pas jusqu’ici prétendre. »
Les aspirations du salarié changeant sont orientées par des images, des symboles liés à des représentations. En d’autres termes, les besoins sont des pulsions et les aspirations des désirs, des souhaits.
Les uns, venant du salarié lui-même ou par rapport aux pressions environnementales, les autres, sont tournés vers un but.
Pour mieux l’exprimer : un projet d’avenir qui prend forme à partir de besoins non satisfaits d’une part, c’est-à-dire de « l’attraction vers des objets perçus, représentés ou imaginés », et d’autre part, qui fournit des buts au salarié en tant que sujet-agent individuel et social.
Buts formés, entretenus et réalisés en interaction avec l’environnement de l’organisation. C’est-à-dire, le milieu particulier du corps de métier de l’entreprise qui « fournit l’univers des symboles et des valeurs par lesquels s’élaborent, s’expriment et se diffusent les aspirations chez les personnes et dans les collectivités » (en l’occurrence l’association).
Ce milieu étant « à la fois le milieu qui provoque l’éclosion des aspirations, qui les entretient et les diffuse, et aussi le lieu de leur réalisation ou de leur frustration. »
En ce qui concerne plus spécifiquement les aspirations individuelles, nous pouvons définir celles-ci comme des projets que forment les salariés (quelquefois formulent) et qui les motivent précisément à poursuivre leurs projets.
En clair, le terrain a révélé que le salarié satisfait de ses aspirations au présent pourra ne pas aspirer aller plus loin dans ses projets. Cette traduction s’effectuant dans le but de s’assurer une socialisation ou encore de développer des aptitudes, à moins que ce besoin ne paraisse trop grand au salarié, trop difficile à réaliser.
Mais à l’inverse, comme l’exprime Guy Rocher, « le milieu socioculturel présente aussi des contraintes, des obstacles, des empêchements aux aspirations. » Ainsi, la nécessité d’obtenir un écho à ses désirs constitue une de ces contraintes à l’élaboration ou au maintien de ses aspirations.
C’est en cherchant les qualités heuristiques de ce concept d’aspiration autour duquel peut s’organiser les interrelations que nous avons tenté une interprétation du rapport entre le salarié et ses représentations. Dans ce que nous avons relevé de nos prestations, c’est que l’aspiration est participation. A partir de là, elle est révélatrice de rapports entre le salarié et l’organisation.
Alors, même si le salarié porte un intérêt au cadre de son corps de métier dans l’organisation, pris dans son sens le plus large, son intérêt personnel peut être tourné aussi bien vers des activités, bien sûr en dehors ses activités professionnelles, mais aussi, culturelles ou philanthropiques, c’est-à-dire, désintéressées.
Mais n’oublions pas qu’un intérêt porté dépend de la valeur attribuée. Par cela, le salarié devient changeant. C’est-à-dire « à travers les choix successifs liés à des intérêts plus ou moins grands, dans des situations différentes, une même aspiration peut se préciser, se fixer et se réaliser progressivement. »
Nous venons de voir que les aspirations des salariés se rattachent au désir et à la valeur en liaison avec la représentation. La réalisation des aspirations doit nécessairement s’effectuer dans une mise en projet. Cette mise en projet leur permet de participer à la vie de l’organisation. Participation caractérisée par des interactions et des interrelations sociales.
A partir de ce cadre d’analyse, du terrain et nous appuyant sur ce que nous avons développé précédemment, nous pouvons légitimement déduire que les aspirations des salariés se modifient en fonction de trois notions qui peuvent paraître au premier abord successives mais qui sont, en fait, entièrement liées entre elles : « les désirs, les espoirs et l’espérance »
Plus précisément, sur le terrain, nous avons relevé :
- le désir de reconnaissance et d’appartenance à un groupe,
- l’espoir de développer un projet en relation avec une histoire individuelle et
- l’espérance d’être ou de conserver un état d’être pour « garder une raison de vivre malgré les échecs rencontrés. »
Nous avons écrit, par ailleurs, un article sur une interprétation possible de ces trois notions :