Le changement : troisième partie
Le changement en pratique
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PROTOCOLE DE VALIDATION
Maintenant que nous avons livré dans les deux premières parties de ce dossier les éléments de théories suscités par notre interrogation sur le changement personnel, nous allons articuler les repères et les pistes qui ont émergées de notre expérience afin de rendre observable l’idée (c’est notre hypothèse) selon laquelle le changement personnel serait dû à la manière dont le salarié fait usage de la configuration de son entreprise. Par suite, nous construirons un modèle entre cette hypothèse et les axes théoriques du changement ; c’est-à-dire les représentations de l’individu (constructions singulières) et ses comportements dans la configuration (actions individuelles dans des représentations plurielles). |
TROISIEME PARTIE : CHAPITRE 1 sur 3
le changement en pratique : PROTOCOLE DE VALIDATION
POUR COMPRENDRE LE CHANGEMENT PERSONNEL DANS LE CHANGEMENT ORGANISATIONNEL
Avec ce chapitre « Le changement en pratique : protocole de validation », par la force des choses, nous sommes désormais amenés à synthétiser puis à expliciter, pour exploitation, les concepts d’individu, de configuration et de manières de faire ; mais également, d’usage de manières de faire et de statut d’individu.
NB : Pour mémoire, comme indiqué au début de la deuxième partie, le lecteur comprendra bien mieux notre développement s’il a pu lire les articles suivants :
Le changement personnel : individu, personne, personnalité | Comprendre le changement : les valeurs, importance et ambivalence | Optionnellement La psychothérapie, le bras armé du changement positif |
1) Autour du salarié
Même si dans une entreprise on peut supposer ne rencontrer que des masques (des personnes en représentation, c’est-à-dire des personnages) qui représentent les identités de manière éthérées, une gestion des relations interpersonnelles doit y être organisée voire formalisée par les salariés(1)cf. article ISRI Le changement : individu, personne, personnalité.
Il s’agit, par exemple, de dépendances réciproques dans la configuration, de stratégies et de coups joués dans l’accomplissement des activités ou d’équilibre de tensions et de rapports de forces dans les rôles.
Nous envisageons donc un réseau de relations dans les entreprises où les salariés seraient liés par des agirs singuliers interdépendants. En particulier, ceux qui permettent de construire et de transformer leur « être relationnel » au sein de l’organisation (le service, l’équipe…).
Ainsi, lors de chaque action, un salarié en situation est susceptible d’exercer sur la figure globale de l’organisation (le service, l’équipe…) une influence basée sur le doit-être, le veux-être et le pouvoir.
A partir de là, avoir réfléchi sur l’identité(2)cf. Le changement : individu, personne, personnalité nous permet de la considérer comme un prisme autour d’une volonté d’existence par lequel d’autres aspects, par exemples la reconnaissance, l’appartenance ou les valeurs, sont reconnus, compris et examinés.
Ainsi, comprendre le changement des salariés à travers l’identité, nous a amené à nous demander quels étaient les facteurs sociaux, psychosociaux et les circonstances pouvant favoriser l’apparition de conduites spécifiques, motivations, intérêts et la sélection d’idées morales nouvelles.
Nous devons donc tenir compte, dans un changement organisationnel, LA MANIÈRE dont les salariés construisent leurs identités au sein de leur organisation (leur service, leur équipe…) mais également les transformations des identités.
Sur ce point, le salarié peut vouloir restaurer son image, rechercher une reconnaissance sociale ou se préparer à de nouvelles opportunités s’appuyant sur les fluctuations de la configuration. Dès lors, il est susceptible d’user d’un lien spécifique : l’identification.
Enfin, aborder les valeurs avec Scheler dans le phénomène de changement(3)cf. Comprendre le changement : les valeurs, importance et ambivalence a révélé l’importance décisive de la sympathie, de l’amitié et de l’éthique en tant que sentiment émotionnel pour la compréhension d’autrui. Nous projetons donc une éthique de base auquel chacun participerait ; c’est-à-dire construirait/modifierait.
En particulier, celle qui dépend des perceptions et des représentations qui, par suite, pourrait développer des règles collectives (même informelles) pour devenir le « contrat social » de l’organisation.
Ces représentations constituent les composantes du concept « statut d’individu » car elles sont sensées définir, dans les actions communes, l’individualisation des actes et de tous les systèmes sociaux que l’être humain développe pour devenir une personne sociale singulière, un individu.
2) Autour du concept de configuration
Le contexte environnemental dans lequel évolue un individu nous a montré, avec Elias, l’impossibilité de dissocier l’individu de la société. Précisément, l’insuffisance d’analyser une configuration sans tenir compte du sens intentionnel des actions menés par les individus.
Il s’agit, par exemple, de formes d’interrelations qui s’entrecroisent et où le salarié pourrait exercer des actions synallagmatiques, des modifications de son expérience et de ses comportements.
Nous envisageons donc un rapport qui lierait réciproquement les salariés les uns aux autres au sein de l’organisation (le service, l’équipe…). En particulier, la solidarité peut faire l’objet d’un apprentissage par le salarié qui demande du temps empêchant l’immédiateté d’une présentation valorisante de soi. En fait tout dépend des intérêts et des motivations, c’est-à-dire des processus d’évolution, qu’il suit.
A partir de là, s’intéresser à l’identité nous a permis de saisir cette capacité à évoluer de l’être humain à partir d’un mixe de ses représentations réelles et symboliques distinguant le je, proche du cogito cartésien , d’autrui.
La configuration sociale particulière de l’organisation visée deviendrait alors celle des salariés dont les interactions pourraient être présentés comme la rencontre de la forme et du sens des représentations et des identifications.
Les identifications du salarié pourraient ainsi servir de base à la communication lors du passage à un nouveau stade de leur engagement, participation. Cette évolution s’exerçant à l’occasion d’échanges avec les autres, la portée de l’identification augmente.
Enfin, aborder les valeurs sous l’angle de la configuration nous a permis de soulever une hiérarchisation des attentes de l’individu. Nous projetons donc l’apparition de besoins à satisfaire par les salariés.
Autrement dit, la multiplicité des images, laissées à la variété des expériences vécues au sein de l’organisation (du service, de l’équipe…), devraient faire apparaître des possibilités d’individualisation à partir d’une recherche de satisfaction de besoins.
3) Autour des manières de faire
C’est autour du concept de manières de faire que le lecteur saisira mieux l’importance que nous attribuons à la configuration.
Dans la section précédente, nous avons distribué l’espace de la configuration selon un rapport qui lierait réciproquement les salariés à partir de leurs représentations. Lesquelles représentations devant servir de base à la communication.
Mais avec Certeau, nous avons appris que l’individu organisait sa communication comme un espace dans lequel, tel un joueur d’échec qui avance alternativement ses pièces en fonction de son adversaire, il joue des coups successifs.
Ces coups, loin d’être déstructurés, sont joués selon des tactiques et des stratégies, c’est-à-dire de manières intentionnelles.
Nous envisageons donc les transactions, les négociations du salarié dans l’usage permanent d’un entre-deux, d’un lieu qui le noue à l’autre dans les circonstances. En particulier, nous envisageons des ruses, des tactiques créatives singulières de la part du salarié dans des stratégies plurielles de branches.
A partir de là, avoir réfléchi sur l’identité nous permet de considérer cet entre-deux en tant qu’il ne saurait posséder une propriété formelle stable.
En fait, il varierait selon des clefs propres relatives au salarié.
Nous envisageons donc le salarié énonçant des coups joués (usage), grâce à des manières de faire, dans un lieu à la fois symbolique et habitable parce-que, les manières de faire du salarié suppose l’habitabilité circonstancielle d’un espace symbolique par des clefs d’accès, ses propres coups joués.
Enfin, aborder les valeurs sous l’angle des manières de faire nous permet de considérer l’habitabilité et les coups joués en fonction de la perception des valeurs par le salarié (émotion).
Nous projetons donc l’ajustement prioritaire de valeurs en tant que coups joués dans cet entre-deux.
Par exemple, pour s’intégrer, le salarié pourrait être amené à respecter et se soumettre aux systèmes de valeurs en vigueur ou en innover de nouvelles. Il pourrait, tout aussi bien, s’en écarter ; auquel cas il s’agirait d’un hors-lieu qui n’en demeurerait pas moins un lieu en tant que lieu autre.
4) Comprendre ce qui fait changer le salarié (synthèse des concepts)
La construction d’un schéma théorique explicatif du phénomène de changement permet de synthétiser l’explication de l’analyse des concepts appliqués en désignant les variables (individu, configuration, manières de faire) et les indicateurs (relations, identité, éthique, solidarité, représentations, besoins, entre-deux, valeurs. Ici, les indicateurs sont des appréciations subjectives exprimant des observations. Ce qui est observable et mesurable est le contenu ou le sens des discours) à mettre en relation et en donnant du sens à leur signification. Il devrait se présenter ainsi :
Ce schéma, envisagé fluctuant par nature (pour reprendre l’expression d’Elias) devra donc apparaître en évolution constante et mutation continue.
Ne fût-ce qu’un instant, il faut insister sur ce point qui, en particulier fait bien comprendre que ceci est possible parce-que les manières de faire seront toujours débattues et le micro-groupe (l’équipe, le service, le bureau…) évolue de façon libre et chaotique sous une éthique de base, même s’il existe des règles organisationnelles.
C’est ce que semble nous dire Lemos à propos de l’Internet : « on est en train de voir le développement d’un « écosystème » auto-organisant, informationnel et communautaire dans le nerf de l’infrastructure technique de communication. »
De plus, si la morale règle les conduites humaines et qu’elle concerne la raison et la perception (qui sont elles aussi humaines), alors le témoignage des négociations entre le salarié et son micro-groupe (l’équipe, le bureau, le service…), ainsi que l’examen de ses attitudes et comportements dans les contraintes de la configuration, c’est-à-dire dans les limites qu’imposent les transactions avec autrui, devraient nous donner de précieux renseignements sur ses manières de faire.
Il s’agira donc de repérer le salarié en tant qu’il produit des coups sans lequel il ne peut exister comme individu. Pour nous aider à ce repérage nous avons ordonné dans le tableau suivant un certain nombre de questions auquel le responsable du management devra répondre pour conduire et réussir le changement au sein de son organisation.
Mots clefs Concepts |
Individu | Configuration | Manières de faire |
Personne (le salarié) | • Quel sens du personnage mis en scène ? • Quel comportement ? • Quelle(s) motivation(s) ? |
• Quelle place singulière ? • Quelles actions réciproques, interdépendantes ? • Quelles tensions dans les situations (sens) ? |
• Quels « coups » joués ? • Qu’en résulte-t-il ? • Comment participe-t-il ? • Comment définit-il ses intérêts ? |
Identité | Présentation de soi : • Quelle identité personnelle ?• Quel devoir être ? • Quelle volonté d’être (image produite) ? Représentation des autres : • Quelle identité sociale ? • Quelle perception d’autrui ? • Quel(s) repère(s) ? |
• Quelle reconnaissance ? • Que se joue-t-il ? • Quelles interrelations, interactions, acculturation ? |
• Quelle manière d’être ? • Quelle(s) manières de créer, d’inventer ? • Quelles successions d’ajustements des coups joués (négociation) ? |
Valeurs | • Quelle(s) images(s) perçue(s) ? • Quelle émotion révèle les valeurs ? • Quels besoins sont à satisfaire ? • Quel(s) jugement(s) de valeur ? |
•Quelle communauté de valeurs (préférences communes) ? •Quels ressentiments (solidarité, sympathie) ? • Quelle est la base d’évaluation de ses normes ? • Quelles valeurs sont le produit d’innovations ? |
• Comment s’y prend-il pour ajuster les valeurs du groupe aux siennes, détourner les normes, faire accepter ses propres valeurs ? • Comment s’y prend-il pour coopérer ? |
De ce tableau, tiré du modèle d’analyse que nous venons d’effectuer, nous voulons dégager les thèmes généraux pour le travail du responsable du changement qui souhaite tenir compte de ses collaborateurs.
C’est-à-dire, il observera et écoutera ce que les salariés lui diront de leur parcours personnel (identité), de leur trajectoire (individu), de leur engagement (personnage), mais surtout de leurs représentations (valeurs), de leurs préoccupations (besoins et intérêts) et de leurs manières de voir, leurs manières d’être, leurs manières de faire. Bref, ce qui fait LIEN entre l’organisation et ses membres, ce qui donne du sens aux dynamiques relationnelles, ce qui les fait changer.
Pour aider à la préparation, nous avons essayé d’en ressortir quelques préoccupations :
- Eléments d’itinéraires :
Pourquoi et comment ils sont arrivés dans la structure ? Remonter aux origines devra permettre de relever les caractères des salariés au moment de leur entrée dans l’organisation, les identités déjà forgées, les valeurs originelles, les expériences antécédentes, leur situation professionnelle et familiale. Mais aussi les divergences, les diversités. Autant d’éléments susceptibles de déterminer un point de départ à leur changement : attente, projet, besoins, par exemples. Bref, tout ce qui a pu présider à leur entrée.
- Nature des éléments évoqués lorsqu’on interroge les individus :
Qu’attendent-ils des activités de l’organisation et, plus précisément, du changement organisationnel ? Quelle image, quelle représentation en ont-ils ? Comment les jugent-ils (l’organisation et le changement organisationnel) ? Pour obtenir des réponses sur la position de chacun dans leur engagement, pointer les contradictions du statut d’individu confronté à une pratique relationnelle en tant que salariés exerçant une fonction au sein de l’organisation (professionnelle, syndicale…).
- Situations vécues comme importantes, reconnues comme constructives, structurantes :
Quelles sont les stratégies développées selon leur position d’ascension ou de déclin à l’égard de leur engagement, à l’égard aussi des autres salariés ? Quelles sont les fortes situations ? Bref, ce qui nous permet de déterminer une configuration, les formes de jeux.
- Construction du sens :
Quelles valeurs ? Quelle maturation de l’expérience vécue ? Comment se caractérise le mécanisme de dynamique ? D’engagement ? Qu’est-ce que le collaborateur en retient ? Ce qui doit permettre de relever les divers processus d’identification.
- Adaptation/accommodation :
Comment les salariés, lorsqu’ils sont interrogés, ont-ils répondu à l’apparition de nouveau projet ? Dans quel délai se sont-ils engagés ? Est-ce que ça a été simple ou compliqué ? Comment s’y sont-ils pris ? Comment témoignent-ils de leur démarche ?
- Pratiques et discours :
En les faisant parler de leur engagement, de leurs pratiques, on peut supposer arriver à percevoir leurs aspirations.
- Et plus tard ?
Comment le salarié voit son avenir au sein de l’organisation (du bureau, de l’équipe, du service…) ? Quel comportement, par rapport à ce qu’il a vécu, peut-on déduire qu’il va adopter pour l’avenir ? De même, par rapport à ses aspirations émergentes, celles apparaissant au cours du changement organisationnel ? Ceci afin de déterminer s’il va continuer à s’engager dans son travail et par là se donner la possibilité de changer encore.
Ce sont ces thèmes que le responsable du changement doit chercher à renseigner par l’enquête, le dialogue et la communication
Conclusion : repérer le salarié changeant à partir d’un modèle d’analyse
Dans la deuxième partie nous nous étions intéressés particulièrement au fait que le phénomène de changement personnel observable peut générer un réseau de questions et questionnements à partir desquels nous pouvons centrer le salarié en interrelation avec et dans l’organisation (le service, l’équipe, le bureau…).
Ainsi, nous avions pointé les concepts fondamentaux pouvant s’avérer être des pistes fécondes pour son intelligibilité. C’est-à-dire, comme nous l’avons montré, la question du changement pourrait être éclairé par les concepts et notions d’individu, personnage, identification, valeurs et configuration qui ont fait l’objet du développement (non exhaustif) dans la partie précédente pour éviter leurs confusions d’interprétations courantes.
Procéder ainsi nous a appris que le phénomène de changement personnel n’est pas « nécessairement provoqué par des changements de la nature extérieure à l’homme. […] Le seul environnement qui ait changé est l’environnement que formaient et que forment les hommes les uns pour les autres. »(4)Elias, N., La société…, op. cit., p.87 C’est pourquoi, analyser le concept d’usage de manières de faire s’est présenté comme un cadre pertinent.
Dans un même temps, nous avons démonté les mécanismes que ces concepts pouvaient exercer sur notre démarche de compréhension. Pour y parvenir nous avons mobilisé les travaux d’auteurs tels que Durkheim, Scheler, Elias, Certeau, entre autres pour finalement proposer la conclusion suivante :
« Plus un salarié use, dans une configuration, de manières de faire, plus ce salarié accède à un statut d’individu au sein de l’organisation changeante »
Ce qui signifie que :
A partir de ses désirs, ses espoirs et ses espérances à satisfaire ses besoins-aspirations, un salarié en tant qu’individu investit dans les dynamiques relationnelles pour en jouer ou bien profiter des circonstances pour les laisser jouer.
Pour parvenir à changer, ce salarié en tant que personne joue avec l’information qu’il donne de lui-même par la place qu’il s’accorde dans un jeu de dépendances réciproques qu’il contribue à former et changer.
Mais il le fait lors de moments d’échanges qui rendent visibles un lieu dans lequel il fabrique des stratégies et des tactiques propres à donner du sens à ses jeux.
Ainsi, il use de manières de faire singulières par un je sans cesse renouvelé sur la base d’un ensemble multiple de jeux, de je.
Néanmoins, accéder à un statut d’individu n’exergue pas l’individualisme. Au contraire, il faut bien entendre que cette personne/individu (non monade/Leibnitz) prend conscience de son individualité profonde (individuation/Jung). Démarche de conscientisation indispensable préalable permettant, ensuite, d’échanger et de s’enrichir auprès des autres personnes/individus.
Voici terminé le premier chapitre sur 3 de la troisième partie du dossier sur le changement. Dans le second chapitre, nous allons aborder l’aspect très pratico-pratique de ce dossier : l’élaboration d’un guide pour conduire et réussir le changement.
Pour en savoir +
Notes de l`article [ + ]
1. | ↑ | cf. article ISRI Le changement : individu, personne, personnalité |
2. | ↑ | cf. Le changement : individu, personne, personnalité |
3. | ↑ | cf. Comprendre le changement : les valeurs, importance et ambivalence |
4. | ↑ | Elias, N., La société…, op. cit., p.87 |
Le changement : deuxième partie
Comprendre le changement personnel
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L’USAGE DE MANIÈRES DE FAIRE :
LA QUINTESSENCE DU CHANGEMENT
Ce dernier chapitre clos la deuxième partie sur le changement personnel. Ainsi, nous avons déblayé jusqu’à présent les principaux concepts directement liés au salarié en tant qu’individu pour mettre en exergue ses tactiques et stratégies d’adhésion ou de résistance pour conclure que le salarié était un inventeur de manières de faire. C’est cet « art de faire » du salarié dans le changement organisationnel que nous allons voir dans ce cinquième chapitre ; précisément quels jeux, tactiques et stratégies, tours, détours et contours il adopte pour assouvir ses besoins et ses aspirations. A partir de là, nous serons fins prêts pour élaborer un guide pratico-pratique, immédiatement applicable par le responsable du changement pour bien conduire et réussir le changement. Ce sera l’objet de la troisième et dernière partie de ce dossier. |
DEUXIÈME PARTIE : CHAPITRE 5 sur 5
L’USAGE DE MANIÈRES DE FAIRE : LA QUINTESSENCE DU CHANGEMENT
L’usage de manières de faire : la quintessence du changement
Si la présentation de soi suggère des manières de faire consistant en des manières de se présenter alors user de présentations de soi doit pouvoir révéler l’existence d’une logique de penser propre au salarié constitutive de ses intentions.
Ainsi, l’usage renvoie à l’utilisation des configurations (à travers diverses manières de faire, de penser, d’être, …) ; autrement dit, des manières de se présenter, se représenter et autres comportements et attitudes (afficher une apparence, investir physiquement les lieux, mettre en scène une identité positive, constituer un réseau de solidarité, …) C’est à partir des représentations du salarié-usager que nous pouvons repérer cet usage.
Pour le dire autrement, l’interprétation des représentations des configurations et les rôles endossés pour interagir doivent être complétés par l’interprétation de ce que le salarié « fabrique », « bricole », « braconne » pendant ces interactions.
En clair, après avoir montré l’existence de présentations de soi spécifiques aux circonstances du quotidien de l’organisation, il va s’agir d’aborder maintenant en quoi l’individu-salarié peut en « détourner » la logique pour son propre compte. Trouver le sens intentionnel de ces manières de faire nous conduit à mettre son changement au cœur de ces mécanismes.
Certeau dans « l’invention du quotidien » pose l’existence de deux mondes, celui de la PRODUCTION et celui de la CONSOMMATION ou des usages perçues comme des pratiques inventives et créatives, qui participent de l’invention du quotidien(1)Certeau, M. (de), L’invention…, op. cit., p.XXXVIII et suiv..
Il conçoit la consommation comme une « fabrication », une « poïétique » rusée, dispersée, silencieuse, quasi invisible qui s’oppose ou négocie avec le monde de la production dominante. Il cherche « à se placer dans la perspective de l’énonciation [qui] met en jeu une appropriation [,] instaure un présent relatif à un moment et à un lieu [et] pose un contrat avec l’autre (l’interlocuteur) dans un réseau de places et de relations. »(2)Certeau, ib., p.38-39.
A partir de nos missions dans les entreprises, nous avons découvert les modalités de ces quatre caractéristiques de l’usage (se placer, s’approprier, s’inscrire dans des relations et se situer dans le temps) ; ce qui va nous permettre de comprendre le changement à partir des opérations bricoleuses (usages) qui se construisent et se soustraient aux règles imposées et à l’influence des configurations.1) « Se faire une place »
1) L’espace : un lieu pratiqué
« L’espace est un lieu pratiqué »(3)Certeau, M. (de), l’invention…, op. cit., p.173. souligne Michel de Certeau, en associant la stabilité au lieu et la mobilité à l’espace.
Dans la configuration, le salarié exprime sa personnalité professionnelles et personnelle, il élabore sa vision du changement organisationnel, puis l’élargit au travers de prises de responsabilités en agissant (participation, investissement, rebellion, résistance…), par exemple ou en agissant pas ; ce dernier point étant, tout de même, une action.
Son expérience du lieu s’affine avec ses mois de participation pour finir par coller à la réalité du projet, à l’espace. Pour lui, cette expérience constitue des repères indispensables à l’aménagement de ses participations (ou résistances) et par là de ses manières de faire (se présenter, d’être, …), à fortiori pour celui qui est en ruptures avec le changement organisationnel et, à fortiori, s’il manquait déjà de repères par ailleurs, socialement ou filialement, par exemple.
Ce qui suggère l’appropriation de l’espace dans lequel il va (ré)inventer ses participations comme un remède à ses ruptures. Le rôle de l’imaginaire (une idéalisation, par exemple découlant de ses propres représentations est ici important.
2) S’approprier l’espace : une manière de faire individuelle
Ces attitudes d’appropriation de l’espace sont constitutives d’un espace personnel élargi au sein de l’organisation. Ainsi, il peut exprimer sa personnalité, s’approprier l’espace configurationnel de l’entreprise.
La question de l’usage de l’espace revient à saisir ce que celui-ci représente pour le salarié. Notre réflexion précédente avance l’hypothèse que les salariés s’engagent avec la perspective de réussir (leurs besoins-aspirations personnels mais aussi le changement organisationnel) rendant alors acceptables les efforts produits (l’usage de présentations de soi et autres manières de faire) et le risque de ne pas réussir.
Dans cette perspective nous déterminons une réciprocité : il n’y a pas de manières de faire sans l’existence de cet espace récipiendaire qui fonctionne comme polarisation et cadre préparateur aux changements.
A partir de là, la question à laquelle il nous est donné de répondre est : comment l’appropriation de cet espace(4)Plus précisément de ce lieu en tant que non-lieu qu’est finalement la configuration. par un espace personnel élargi peut-il être l’enjeu de ce qui est rendu visible (la manière de faire, de se présenter, etc.) ainsi que le souligne Certeau dans « L’invention du quotidien« (5)« L’écart entre les usages inventés et ceux constatés en posant l’existence de deux mondes, celui de la production, et de l’autre celui de la consommation ou des usages, perçus comme des pratiques inventives et créatives ». Certeau, M. (de), L’invention…, op. cit. ?
3) S’inscrire dans des relations : stratégies et tactiques
En fait, l’appropriation de cet espace autorise le salarié à jouer des configurations selon des possibles de profits. Précisément, il transforme non seulement ses relations par rapport à ce qu’il a vécu, mais également ses présentations de soi ; il se place autrement face au projet de changement organisationnel pour devenir auteur, inventeur, créateur.
L’appropriation de l’espace se situe donc dans une sorte de mise en usage de cet espace pour espérer réaliser ses besoins-aspirations. Les usages constitués à l’intérieur des interactions prennent place et produisent des manières de faire que le salarié mobilise (présentation de soi, par exemple) lorsqu’il est en contact avec une configuration.
En clair, la configuration de l’organisation(6)(ou du changement organisationnel, ou de toute autre groupe comme le service, l’équipe, etc.) offre un cadre interrelationnel ; son usage permet son existence en tant que cadre favorisant les changements ; et les manières de faire l’optimisent par les changements mêmes. Pour ce faire, le salarié investit dans la configuration selon deux types d’opérations : les stratégies et les tactiques.
Avant d’aller plus loin, le lecteur aura tout avantage de lire ou relire l’article ISRI précédemment paru sur les manières de faire du salarié :
Le salarié dans son entreprise, un inventeur de manières de faire |
Les stratégies
Lorsque le salarié s’approprie (s’empare, use) l’espace par une présentation de soi (par exemple : participations, engagements, comportements…) il calcule les rapports de forces en jeux pour s’en servir de base à une gestion de celle-ci dans ses relations. Il joue, il ruse, il détourne la configuration et par là, les jeux, les ruses, les détournements des autres selon, par exemple, un style propre.
Dans cette logique du jeu de la ruse, du détournement, s’installe un rapport de dépendance entre ce calcul et cette gestion en même temps qu’elle dégage une marge de liberté ; en l’occurrence, le choix du style à employer.
Il va user ainsi de manières spécifiques de se présenter, appropriées à la circonstance, tirées de ses intentions et qui révèlent un lieu circonscrit comme un propre (Certeau).
Ce lieu propre est le lieu de ses intentions. Quand un salarié choisit une stratégie, ses jeux lui sont directement associés par un ensemble de résultats qui restent possibles compte tenu de toutes les stratégies dont disposent les autres salariés. Ainsi, il déploiera tous ses efforts pour réaliser ses motivations, ses besoins-aspirations, lui permettant de se distancer de ses ruptures, voire les cicatriser.
Son intention (que nous traduirons, ici, comme un but à réaliser) sera, dès lors, de veiller à réduire les éventuelles tensions au sein de son groupe ou, au contraire, les amplifier selon la finalité recherchée. Il donne un sens à ses intentions.
Cet usage de manières de faire, ses stratégies, autorise un degré de sécurité relatif à chacune d’entre-elles. Il s’intéressera alors à celles qui lui assurent le résultat le meilleur. Il s’assure ainsi et autant qu’il le peut contre le pire pour lui ; c’est-à-dire contre une contradiction des autres au sein de son groupe ou, plus largement, de l’organisation toute entière.
Pour y parvenir, il définit préalablement (consciemment ou pas) un point d’équilibre entre les meilleures réponses à la configuration. En résumé, le salarié s’approprie, se réapproprie, s’adapte, ruse, joue, détourne constamment. Bref, il change continuellement à l’endroit ou à l’encontre du changement organisationnel.
Les tactiques
Lorsque le salarié exploite (s’empare, use) de la configuration dans une situation relationnelle immédiate, ou lorsqu’il n’a pas le choix, il va chercher soit à tirer profit des forces existantes en leur temps opportun, soit les laisser jouer à son profit par des manières de se présenter, immédiates et circonstancielles. Il saisit ainsi l’occasion selon un art de faire des coups, une tactique qui signifie l’absence de propre (Certeau).
Les tactiques du salarié tentent ainsi de répondre aux besoins et aux préoccupations personnelles de l’heure mais restent relatives aux possibilités offertes par les circonstances et n’obéit pas à la loi du lieu, de la configuration, de la contingence. Elle est manipulation (forme d’usage) de l’espace dans l’immédiateté.
Autrement dit, le salarié fait preuve de créativité et d’invention en produisant des coups instantanés dans ses présentations de soi pour déjouer le jeu des autres. C’est ici que s’éveille son potentiel !
Certeau précise comment, devant les multiples détails de la vie quotidienne, les tactiques, engendrent une activité débordante : « il y a mille façons de jouer et de déjouer le jeu de l’autre, c’est-à-dire l’espace constitué par d’autres et qui caractérisent l’activité tenace, subtile, résistante, de groupes qui, faute d’avoir un propre, doivent se débrouiller dans un réseau de forces et de représentations établies. »
Un exemple de stratégie incluant des tactiques
Ainsi que nous venons de le souligner, le salarié trouve des façons de faire, des moyens de déjouer ou de composer avec la configuration pour arriver à ses fins.
Ce qui transparaît de nos missions sur le terrain c’est la capacité du salarié à personnaliser les usages de ses fonctions à des fins qui lui semblent le plus profitable, indépendamment du dessein initial de l’objet, c’est-à-dire indépendamment du but pour lequel il est à son poste.
En fait, il s’agit ici de choix, de sélections (de détournement stratégique) dans la gamme des possibilités offertes par l’organisation, pour tenter de répondre aux besoins et aspirations personnelles.
Ainsi, le salarié s’approprie un espace qui lui permet, en tant qu’usager, de jouer sur l’objet de sa fonction et, plus largement, de l’organisation ou de son groupe (équipe, bureau, service, agence…), tout en se passant des codes imposés par ces derniers (le corps de métier, par exemple), ou en tenant compte uniquement de ceux d’entre eux qui lui sont utiles dans la réalisation de ses propres objectifs. Ce que nous résumons par le tableau suivant :
Usage de la configuration par les salariés |
Configuration (objet / mission) |
Configuration (étiquette) |
Salarié (besoins-aspirations équivalents à ceux de la configuration) |
Salarié actif | utilisation par les salariés en tant que fin en soi |
Salarié (besoins-aspirations différents de ceux de la configuration) |
Salarié actif si intérêt sinon inactif |
Utilisation par les salariés en tant qu’outil |
Ainsi, les salariés détournent parfois les outils, les utilisent à leur manière, avec leur logique, une logique de la ruse. Cette logique, « qui composent, à la limite, le réseau d’une antidiscipline », subvertie, du dedans pour en faire autre chose. « Alors, seulement on peut apprécier l’écart ou la similitude entre la production de l’image et la production secondaire qui se cache dans les procès de son utilisation. »(7)Certeau, M. (de), L’invention…, op. cit., p.XXXVIII. Leur mode d’emploi, se manifestant avec suffisamment de récurrence, correspond à des intentions, des préméditations.
En somme, face aux modes d’emplois prescrits par l’organisation, les salariés tendent à proposer des détournements de l’outil, des déviances de l’objet et des variantes de la mission, pour changer. Le sens donné à cet usage de l’organisation fait référence aux représentations et aux valeurs qui s’investissent dans l’usage de manières de faire.
4) Se situer dans le temps
En fait, nous venons d’interpréter les usages en fonction des moments d’investigations que les salariés privilégient (appropriation par des stratégies, formation des usages et inventivité par des tactiques).
Pour résumer, les stratégies des salariés (déterminant un propre) sont une « victoire du lieu sur le temps »(8)Certeau, M. (de), L’invention…, ib., p.XLVII.. En effet, elles servent de base à une gestion de leurs relations ; c’est-à-dire, sont un véritable terreau de capitalisation des avantages permettant leur réutilisation.
Alors que la tactique dépend du temps parce qu’elle est immédiateté. Ce qu’elle gagne, elle ne le garde pas. Le salarié use de l’occasion.
La fréquence d’usage de tactiques et stratégies dans le temps nous permet de circonscrire les données sur les changements. Nous avons relevé sur le terrain qu’elles pouvaient être déstabilisées puis recomposées sous d’autres formes conduisant à une plus grande planification du temps. Ainsi, nous pouvons rendre-compte de la façon dont les salariés usent des configurations dans des temporalités spécifiques aux manières de faire.
Tours et détours : contours du changement
Résumons-nous. La configuration en tant qu’offreuse de règles (c’est-à-dire une sorte de conditionnement, même si elle peut être mutuellement construite entre les salaréis au sein d’un groupe) conditionne le salarié selon une marge de liberté qui lui reste propre : ses intentions.
Les interactions entre l’offre et son utilisation (tactiques et stratégies) renvoient aux représentations (par exemples, sa dimension symbolique, les différentes images développées) du salarié.
La figure de celui-ci, rusé, subtil, bricoleur, capable de créer ses propres usages, apparaît comme celle d’un individu actif de son changement. Ses manières de se présenter (comportements, attitudes, …) répondent aux propositions de la configuration dans l’intention de se l’approprier et par là se donner quelques chances de réaliser ses besoins-aspirations.
Toutefois, la marge de manœuvre de ses manières de faire est limitée à la zone définie par toutes les manières de faire des autres salariés, réduisant sa marge de liberté et de pouvoir dont il est détenteur à un moment.
Autrement dit, l’appropriation de l’espace de la configuration permet de la comprendre comme un processus de création de sens, dans et par l’usage, dans toute sa dimension sociale. L’usage a ainsi une épaisseur socioprofessionnelle.
Dans cette perspective, l’usage fait partie intégrante des manières de se présenter et autres manières de faire, il vient s’y intégrer en même temps qu’il les transforme et transforme, simultanément, l’état du salarié ; c’est-à-dire, caractérise son changement.
Prenons un exemple. Nous avons parlé, plus haut, de style vu en tant que manière de se présenter ; l’interpréter, c’est interpréter un salarié qui a trouvé sa manière de dire(9)Ce qui nous amène, à énoncer une définition du style, celle de Greimas : « Le style spécifie « une structure linguistique qui manifeste sur le plan symbolique (…) la manière d’être au monde fondamentale d’un homme » » (Greimas, Aljirdas-Julien, Linguistique statistique et linguistique structurale in Le Français moderne, 1962, p.245). par une expressivité propre (manière de faire). C’est un art de faire, un savoir-faire pour comprendre, se distancer, faire le point, exister, se reconnaître, acquérir une identité, échanger, travailler sur soi, donner à être écouté, élaborer une pensée, évoluer, se dégager, se transformer voire se transcender, se sublimer et par là-même changer.
En effet, lorsque cette expressivité est authentique et tombe juste, son expression par une présentation de soi spécifique devient prégnante et porteuse pour le salarié ; il change en ce sens qu’il œuvre pour réaliser ses besoins-aspirations. Certeau parlait déjà d’une esthétique du savoir par un savoir-faire(10)« Le « retour » de ces pratiques dans la narration […] se rattache à un phénomène plus large, et historiquement moins déterminé, qu’on pourrait désigner comme une esthétisation du savoir impliqué par le savoir-faire », Certeau, M. (de), L’invention…, op. cit., p.110..
Ainsi, le style représente l’espace de ce que le salarié éprouve par rapport à ce qui est ou qui doit être à un moment donné. Les bénéfices sont donc tant au plan du savoir personnel que de la personne même. Il n’est plus tout à fait le même qu’avant, il évolue, il change en jouant de la configuration.
Ce qu’il est intéressant de voir finalement c’est que le salarié développe une créativité immédiate ou réfléchie (tactique ou stratégie) pour s’adapter aux situations et arriver à ses fins, répondre à ses attentes. Ce sont des temps d’ouverture à une socialisation (avec l’autre), porteuse d’autodidaxie (expérience-connaissance).
La façon d’utiliser la configuration est au fond tributaire de la façon d’user de manières de faire en tant que processus de socialisation propre à chaque salarié ; elles-même tributaire des différentes histoires et des règles propres des configurations à la fois modelées et modelantes. Si l’on considère qu’il peut trouver là une distance avec ses ruptures alors il change profondément, intérieurement, intrinsèquement.
Par cette autodidaxie, il acquiert de nouvelles manières de penser et d’agir selon un espace-temps de transition plus ou moins long : son espace personnel élargi. Elle constitue donc un mode d’apprentissage qu’il anime comme une ressource en quelque sorte dès qu’il est, par exemple, contraint d’inventer des solutions inédites à un problème particulier. Son changement nous est par là rendu intelligible.
La part de l’autre
Nous sommes arrivé au point de pouvoir rassembler un certain nombre d’éléments et sceller notre dossier pour souligner avec force un autre sens : la part de l’autre dans le changement.
Ce que nous avons interprété là est de l’ordre d’une mutation de fond individuelle, d’une singularité même si elle n’échappe pas à une certaine régularité ou peut être comprise par une loi. Sachant que l’expérience se soutient de généralités, de lois, qu’elle dépasse l’un pour toucher l’ensemble.
Dans nos exemples, il peut y avoir une sorte de ressemblance mais pas d’identité ; l’expérience (et son énonciation, usage de l’expérience, manière de faire) reste une singularité. C’est à partir d’elle que le salarié invente !
Bref, les manières de faire montrent un rapport intersubjectif en actes mais une singularité de l’expérience ; une similitude avec le changement organisationnel mais une multiplicité de coups joués singuliers. Une singularité qu’il nous faut donc entendre comme une construction par la pluralité. Ce qui témoigne de l’inscription du salarié dans un contexte socioprofessionnel configurationnel indispensable à la préparation de son changement.
Pour le salarié user de manières de faire revient donc à s’engager de manière singulière dans une pluralité de manières de faire. En effet, lors de nos missions, dans les énoncés, comme dans leurs énonciations, cela se marque par un « je » qui s’assume comme auteur propre et singulier.
Entre l’énoncé et l’énonciation, un lien. Ce lien est l’usage de manières de faire qui désigne la place que va occuper le salarié et où le singulier touche au général.
Cette place, outre le fait qu’elle soit au centre de sa construction, a la particularité de rencontrer un autre (un autre je) qui peut s’y reconnaître. Dans ce cas, le salarié a comme but de faire partager son expérience, c’est-à-dire de l’agir et de l’éprouvé. Il appelle ainsi « l’autre » pour le partager, l’évaluer (il joue un coup) et par là lui permet d’évoluer, de changer intérieurement. L’attitude de l’autre touche alors à des réactions d’empathie, de sympathie, d’antipathie (le coup précédent appelle un contre-coup) qui sont des modes de connaissances de la relation avec les autres.
Dans ses manières de se présenter, de se représenter la configuration amène à des manières de penser, d’agir. Ainsi, le salarié s’interroge, rend visible ses doutes et arrive immanquablement aux problèmes d’éthique. Il n’y a d’éthique que parce qu’il y a de l’autre. Chacun est à la recherche des gestes justes (tout du moins, qu’il croit justes), qui donnent de la dignité à ses actions, conduit finalement à la construction d’un ethos (Scheler).
Participer à cette construction le transforme parce-qu’elle est l’amorce d’une responsabilité qui reconstruit, à son tour, quelque chose de lui-même et de ses choix. L’usage de manières de faire épouse donc les situations communes par une singularité en même temps qu’il épouse la singularité des situations dans le commun.
Mais pour s’autoriser à changer de la sorte, un risque est à prendre car ce qui surgit dans l’interaction entre lui et les autres est sa subjectivité qu’il ne peut exclure. En ce sens, user de manières de faire correspond à un mode de restitution de ses sentiments : passions, amour, haine, rejet, masochisme. L’autre n’est plus alors seulement l’objet d’un regard extérieur, il est un confident.
Ainsi, l’usage de manières de faire prend la place des manières de faire même et marque ce que le salarié cherche à présenter. En effet, il se comporte, par exemple, de manière à gagner la sympathie des autres ! Son comportement moral tient compte du jugement de l’autre pour obtenir une appartenance, tout du moins, un allié dans le regard de l’autre.
Son identité est en train de revivre à nouveau (ou bien une nouvelle est en train de naître) par sa volonté personnelle (il change). Nous irons jusqu’à dire : au-delà des participations ou des fonctions mêmes, cette volonté est réaménagée pour que ses situations (les étiquettes allouées par sa fonction, son métier, l’organisation…) ne soient pas une charge pour lui. En fait, il se prépare à un changement continuellement et incessamment renouvelé dans une configuration qui structure ses manières de faire.
En effet, celle-ci est l’organisatrice des actions produites par les manières de faire. Elle vise à produire du contact, à former de nouveau micro-groupes, souvent informels, tels que « le clan des POUR » ou celui des opposants.
Ainsi, les projets sont moins des idées à développer que des idées à créer du lien social où les manières de faire témoignent d’un désir de réduire des ruptures ressenties, notamment avec « l’avant changement », de réaliser des besoins-aspirations. Leur usage élabore de nouvelles formes d’échanges socioprofessionnels.
Conclusion : L’art et la manière
En somme, l’usage de manière de faire est une tension entre des aspirations et les craintes que celles-ci suscitent en même temps que cette tension est indispensable au changement individuel dans un cadre configurationnel de changement organisationnel.
Finalement, dans ce deuxième chapitre sur 2, nous venons de caractériser les séquences et les procédures qui marquent un changement d’état pour le salarié au travers de l’usage de manières de faire qu’il fabrique.
De la sorte, il s’approprie une place dans les configurations (un propre dans lequel il joue en stratège et tacticien) à partir de laquelle il va pouvoir dire les choses ; c’est-à-dire user de manières de se présenter (de dire, d’être, …).
Cette place a donc un sens, du sens. Un sens parce-qu’elle constitue l’espace personnel nécessaire à sa participation ; du sens parce-qu’elle est l’espace (au sens certausien du terme, c’est-à-dire un lieu pratiqué) à partir duquel il va jouer, ruser, fabriquer, détourner, bricoler, investir sa présentation de soi, ses manières de faire, d’être, d’agir, de penser.
Le salarié changeant est, en conclusion, la figure exemplaire qu’impose l’invention d’équivalences de codes, la réorganisation des systèmes. Il montre qu’il est possible de se déplacer entre le passé et le présent pour l’espérance d’un avenir, d’un devenir, qu’il peut inventer d’autres images de référence, dont l’ensemble finit par donner forme à une nouvelle représentation de soi et en jouer, en user pour répondre à ses attentes et par là se préparer à changer, puis changer et finalement changer continuellement.
De cette créativité naissent ses engagements, il change en même temps qu’il s’affirme comme un individu par rapport aux autres.
En fait, le salarié est un joueur ; sa salle de jeu est un théâtre où la dépendance des relations donne une idée de similitude et de réciprocité mais aussi de complémentarité entre sa singularité, son je et la pluralité des autres je.
Cela l’amène à user de tactiques et de stratégies dans lesquelles il fait preuve de créativité pour chercher le meilleur résultat, en même temps qu’il définit un point d’équilibre dans ses relations. Son acte (l’usage) est singulier, son action (la manière de faire) est la preuve visible de ses changements en cours.
Ainsi, le salarié est un individu pluriel changeant qui ne peut pas être pensé comme Robinson Crusœ mais dans une pluralité d’individus changeants, une configuration.
Ainsi, les relations interpersonnelles et les interactions révèlent la fabrication de l’espace, sorte d’entre-deux, bâtie autour de l’usage de manières de se présenter et qui portent les traces de la configuration dans laquelle les participations prennent place pour répondre aux attentes (du changement organisationnel, par exemple) et par là permettre le changement du salarié.
Cet usage participe à la construction et au renforcement d’une ambiance, qui fut si souvent énoncée par les salariés interviewés lors de nos missions, et par extension, au renforcement d’une identité groupale.
En résumé, comprendre les raisons du processus de changement personnel du salarié DANS le changement organisationnel c’est rendre compte des dynamiques relationnelles qui caractérisent les rapports. Ainsi, nous avons pu rendre visibles quelques matériaux participants du phénomène observé. Ainsi, nous avons pu décoder les schèmes opératoires réalisés par les salariés. En clair, nous avons repéré cinq mécanismes fondamentaux des manières de faire et de leurs usages :
- une recherche de satisfaction des besoins-aspirations pour transformer les ruptures en mieux-être,
- une mobilisation des représentations pour les utiliser dans les différents contextes où ils risquent d’en avoir besoin,
- des présentations de soi adaptées pour s’intégrer dans une configuration,
- des stratégies singulières pour interagir,
- des tactiques individuelles pour acquérir ou conserver sa place.
Lorsqu’une configuration favorise ces manières de faire, les salariés usent de tactiques et de stratégies et se trouvent motivés par leur relations. Ils deviennent acteurs de leur changement et participent !
Car, le potentiel humain est la seule richesse permettant d’optimiser le changement organisationnel, sinon c’est l’éviction par la concurrence !
Dans la troisième partie de ce dossier, nous tiendrons compte de ce que nous venons d’exposer afin d’en extraire un guide opérationnel permettant de conduire et réussir le changement.
Pour en savoir +
Notes de l`article [ + ]
1. | ↑ | Certeau, M. (de), L’invention…, op. cit., p.XXXVIII et suiv. |
2. | ↑ | Certeau, ib., p.38-39. |
3. | ↑ | Certeau, M. (de), l’invention…, op. cit., p.173. |
4. | ↑ | Plus précisément de ce lieu en tant que non-lieu qu’est finalement la configuration. |
5. | ↑ | « L’écart entre les usages inventés et ceux constatés en posant l’existence de deux mondes, celui de la production, et de l’autre celui de la consommation ou des usages, perçus comme des pratiques inventives et créatives ». Certeau, M. (de), L’invention…, op. cit. |
6. | ↑ | (ou du changement organisationnel, ou de toute autre groupe comme le service, l’équipe, etc.) |
7. | ↑ | Certeau, M. (de), L’invention…, op. cit., p.XXXVIII. |
8. | ↑ | Certeau, M. (de), L’invention…, ib., p.XLVII. |
9. | ↑ | Ce qui nous amène, à énoncer une définition du style, celle de Greimas : « Le style spécifie « une structure linguistique qui manifeste sur le plan symbolique (…) la manière d’être au monde fondamentale d’un homme » » (Greimas, Aljirdas-Julien, Linguistique statistique et linguistique structurale in Le Français moderne, 1962, p.245). |
10. | ↑ | « Le « retour » de ces pratiques dans la narration […] se rattache à un phénomène plus large, et historiquement moins déterminé, qu’on pourrait désigner comme une esthétisation du savoir impliqué par le savoir-faire », Certeau, M. (de), L’invention…, op. cit., p.110. |
Le changement : Des organisations à l’individu… et vice versa ! (1re partie)
RÉSISTANCES, EST-CE BIEN RATIONNEL ?
(2me chapitre)
Signifier le changement organisationnel conduit inexorablement à signifier la question de la résistance. Celle-ci est généralement perçue négativement par les directions car elles évoquent viscéralement la résistance au changement lorsqu’elles sont confrontées à un échec. Pourtant, l’analyse psychosociologique et notre expérience sur le terrain montrent que les gens ont de bonnes raisons de ne pas vouloir changer. |
RÉSISTANCE AU CHANGEMENT : EST-CE BIEN RATIONNEL ?
Chaque fois que les consultants ISRI interviennent dans une organisation ils sont confrontés à une réalité contradictoire : d’un côté, la perspective de changements ambitieux émis par les directions, d’un autre côté les obstacles et la résistance à ces changements par les salariés.
Or, lorsque nous interrogeons les salariés, la plupart d’entre eux veulent que « ça change » et souvent la demande est convergente avec le changement programmé de l’organisation. Alors que se passe-t-il ?
A. Les raisons pour ne pas changer
Dans le premier chapitre, nous avons rappelé que Michel Crozier avait montré la rigidité du système bureaucratique et les différents jeux de pouvoir.(1)M. Crozier & E. Friedberg, l’acteur et le système, seuil, 1977 dont un chapitre est consacré au « changement comme phénomène systémique » in Prépa IFCS, Victor Sibler, Ed° Lamarre, 4è éd°, 2008, p.238.
Michel Forsé et Henri Mendras ont résumé les travaux de Crozier et Friedberg : « Les acteurs ne sont pas attachés de façon passive à leur routine : tout le monde est prêt à changer rapidement s’il y trouve son compte, mais en revanche, on résistera en fonction des risques encourus avec le changement ».(2)Le changement social, Armand Colin, 1983.
Par ailleurs, une enquête menée par le Laboratoire Technique Territoire et Société à l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées à la fin des années 90, a montré que les salariés de base vivaient dans une forte incertitude lorsque l’évolution rapide de l’organisation mettait, tour à tour leur service (leur atelier, leur groupe…) en position alternée de force et de faiblesse créant, ainsi, de l’incertitude.
Or, en situation d’incertitude, l’être humain reste prudent, sceptique et une telle situation qui perdure, apprend au salarié de douter de tout…
Si à cela, l’encadrement fait l’objet de rotations rapides, les exigences sont contradictoires (faire mieux, plus vite, moins cher…) et les ordres s’annulent les uns les autres, la situation amène à des résistances, finalement, bien rationnelles !
B. Les explications aux résistances
Nous aborderons dans ce chapitre quelques explications aux résistances de manière succincte uniquement car la partie 3 de ce dossier y revient en détails pour en présenter une manière pratique de les gérer.
1) Les résistances individuelles au changement
D’après Kotter et Schlesinger il y aurait quatre raisons majeures de résistance individuelles au changement :(3)Krotter JP.P Schlesinger L.A. et al., organization : text, cases and reading on the management of organizational design and change, Homewood, III, R.D. Irwin, 1979, in Réussir le changement, Marsan C., De Boeck, 2008.
- l’intérêt individuel prime sur l’intérêt de l’organisation,
- le manque de confiance dans les responsables du changement,
- la peur de ne pas développer les compétences demandées et les comportements attendus,
- la perte du connu, des acquis.
Collerette, Delisle et Perron, quant à eux, parlent principalement de peur et d’une préférence pour la stabilité : l’inconnu, perdre ce que l’on possède, remettre en cause ses compétences…
Ces explications, non exhaustives, des résistances individuelles au changement posent la question des valeurs, de la manipulation, du contrat moral, autant de thèmes que nous aborderons dans la partie 2 de ce dossier. Pour l’heure, passons aux résistance organisationnelles.
2) Les résistances organisationnelles au changement
De nombreux auteurs ont mis en évidence l’inertie structurelle des organisations et l’importance de l’institutionnalisation des buts pour assurer leur survie et leur pérennité(4)Hannan M.T., Freeman J., 1989, Boeker, 1989, Kimberly, 1979. Ce sont précisément, ces points qui induisent des résistances au changement.
Une origine parallèle de résistances réside dans la perte des privilèges et des acquis au sein de l’organisation.
Par ailleurs, un facteur très important siège dans les normes, les valeurs, la culture d’entreprise dont certains traits d’attachement ont une incidence sur l’aptitude à changer.
Enfin, pour mener à bien le changement, un responsable des actions doit être clairement identifié et reconnu, sinon, on court le risque de l’inertie, de l’apathie et de la routine.
3) Les résistances politiques au changement
Les syndicats, les lobbies, les personnes influentes sont des éléments importants dont il faut tenir compte car ils peuvent orienter les décisions des acteurs.(5)C. Bareil, La résistance au changement : synthèse et critique des écrits, HEC Montréal, Cahier de recherche n°4, août 2004.
4) les résistances collectives au changement
D’après Carton(6)Éloge du changement : leviers pour l’accompagnement du changement individuel et professionnel, Village mondial, 1997 in C. Marsan, op.cit., les formes collectives de résistances au changement sont au nombre de quatre : l’inertie, l’argumentation, la révolte et le sabotage. En quelques mots, voyons ces résistances collectives :
L’inertie est une absence de réaction au changement même si les personnes laissent entendre qu’elles acceptent le changement.
Un changement non argumenté sur le fond et/ou sur la forme ne sera pas intégré.
La révolte est toujours précédée de menaces et se caractérise de plusieurs manières : grève, recours à la hiérarchie, demande de mutation, démission… elle survient lorsqu’un salarié est incapable d’ajuster sa réalité à celle du changement proposé.
Le sabotage, technique pernicieuse, visant à déstabiliser l’initiateur du changement. Elle consiste en une révolte sous une apparente soumission. Elle prend souvent la forme d’un excès de zèle ou/et la formation de réseaux de contestations sous-jacents.
C. Que constatons-nous, en fait ?
Pour résumer la résistance au changement organisationnel, nous ferons une constatation : la résistance n’est pas systématique, elle est souvent induite par la manière dont est introduit le changement.
Autrement dit, dès lors que l’on considère les émotions, les affects et les identités de toutes les parties prenantes, les résistances sont amoindries. Ce qui nous amène à faire la transition vers le corollaire du changement organisationnel, à savoir :
Pour en savoir +
Notes de l`article [ + ]
1. | ↑ | M. Crozier & E. Friedberg, l’acteur et le système, seuil, 1977 dont un chapitre est consacré au « changement comme phénomène systémique » in Prépa IFCS, Victor Sibler, Ed° Lamarre, 4è éd°, 2008, p.238. |
2. | ↑ | Le changement social, Armand Colin, 1983. |
3. | ↑ | Krotter JP.P Schlesinger L.A. et al., organization : text, cases and reading on the management of organizational design and change, Homewood, III, R.D. Irwin, 1979, in Réussir le changement, Marsan C., De Boeck, 2008. |
4. | ↑ | Hannan M.T., Freeman J., 1989, Boeker, 1989, Kimberly, 1979 |
5. | ↑ | C. Bareil, La résistance au changement : synthèse et critique des écrits, HEC Montréal, Cahier de recherche n°4, août 2004. |
6. | ↑ | Éloge du changement : leviers pour l’accompagnement du changement individuel et professionnel, Village mondial, 1997 in C. Marsan, op.cit. |
Médiation et changement : Le travail de deuil
De la Roue de Hudson au Cercle de Fiutak
La médiation est un processus qui accompagne des individus en situation de conflit ou de rupture (nous parlerons plutôt ici d’un couple). L’objectif étant de mieux communiquer, de redessiner l’organisation familiale, et de progresser dans la voie d’une résolution à l’amiable du conflit. |
Médiation et changement : le travail de deuil d’hudson à fiutak
Médiation et changement : le travail de deuil d’hudson à fiutak
La médiation est un processus qui accompagne des individus en situation de conflit ou de rupture (nous parlerons plutôt ici d’un couple). L’objectif étant de mieux communiquer, de redessiner l’organisation familiale, et de progresser dans la voie d’une résolution à l’amiable du conflit.
La médiation se traduit par l’organisation régulière de rencontres confidentielles autour d’objectifs précis annoncés par les participants en début de rencontre.
Le médiateur occupe une posture de tiers indépendant, neutre, et impartial, qui va mettre en place autour des personnes un cadre sécurisant pour elles, à partir de règles à respecter. Il va aider des personnes , fragilisées par des bouleversements de leur vie familiale, à intégrer et comprendre ce qui leur arrive afin d’envisager de manière consensuelle l’avenir. Elles trouveront leurs propres solutions et iront à leur rythme en se servant de leurs ressources et compétences personnelles.
Le médiateur va les conduire au fil des séances à changer leur vision, leur représentation de l’autre, et celui qu’ils ont diabolisé redeviendra à leurs yeux un être humain sensible, qui ressent tout comme eux de la souffrance, de la détresse. La communication s’installera peu à peu grâce au médiateur qui facilitera les échanges. Les personnes se parleront directement jusqu’à élaborer ensemble des accords mutuellement acceptables.
Néanmoins, des chercheurs comme Busch et Folger en 1994 présentent la médiation familiale comme un moyen de transformation personnelle des individus. L’effet du processus serait donc évalué non pas par l’aboutissement à un accord, mais par le fait de parvenir à un changement d’attitudes et de comportements. L’accord conclu entre les participants serait secondaire.
Il existerait donc selon ces chercheurs une réelle transformation, un changement, de l’individu ayant effectué une médiation, un changement aussi dans la relation et son mode de communication entre eux.
Ce cheminement des personnes, grâce au processus de médiation qui laisse une place prépondérante au temps, est schématisé grâce au Cercle décrit par (dans « » (2009) « the Fiutak Mediation Circle ».
Thomas Fiutak, professeur de négociation et de médiation à l’Université du Minnesota, propose un schéma de déroulement d’une médiation tiré du modèle de la négociation raisonnée de FISHER et URY en 1982. Dans ce modèle, une dynamique se crée en médiation qui entraine les participants à traverser quatre phases.
Ces étapes seraient-elles nécessaires à un mûrissement psychologique qui correspondrait à un processus de deuil ?
Voici ces quatre phases :
Le cercle de FIUTAK :
La phase 1 est celle de l’identification du problème, la phase du Quoi ?
Les participants exposent la phase visible de leur conflit, avec rancœur, et parfois agressivité. C’est la guerre de position. Le médiateur joue ici un rôle directif, d’information sur le déroulement de la médiation, et les règles éthiques de fonctionnement. Les participants évoquent leur situation actuelle, le contexte, et leurs souhaits pour l’avenir.
La phase 2 est la phase du Pourquoi ?
Dans cette phase, il s’agit de faire surgir les besoins des personnes derrière leur prise de position. Le médiateur va questionner les parties pour déceler et approfondir en demandant pourquoi ? (Qu’avez-vous ressenti à ce moment-là ? pourquoi avez-vous été amené à faire cela ?) Quels sentiments et quelles valeurs se cachent derrière les arguments de l’un et de l’autre ?
Le médiateur doit vérifier et faire valider par les parties qu’elles ont bien compris la position de l’autre, et qu’elles ont été comprises. Il les amène à une prise de distance au conflit, et à un changement d’attitude par rapport à leur position.
Avant de passer à la troisième phase, celle de la compréhension réciproque, ou l’accord sur le désaccord. qui est un moment décisif, car chacun reconnaît une place à l’autre, le médiateur doit s’assurer que les parties ont reconnu réciproquement la position de l’autre, comme différente de la leur, c’est une étape indispensable vers la recherche de solutions.
La phase 3 est la phase du Comment ?
Lorsque chaque partie a compris les besoins et les sentiments de l’autre, le médiateur propose un temps de réflexion, où les idées de solutions sont listées par les deux parties, c’est la phase de la créativité. (« Nous allons imaginer des pistes de solutions, rechercher des idées ») Le médiateur note toutes les propositions des parties en vérifiant l’exhaustivité.
La Phase 4 est la phase du Comment finalement ?
Le médiateur reprend les solutions une par une, les fait valider, ou abandonner, par les deux parties, il les classe, les hiérarchise, dégage des points d’accord, et de désaccord, et peut mettre par écrit les accords des deux parties. Les parties peuvent aussi parvenir à un accord verbal.
La médiation peut ne pas arriver à un accord, ce n’est pas son but premier. L’essentiel est la reconnaissance réciproque de l’autre et de ses besoins.
Le cercle de Fiutak, dit de la résolution de problèmes, pourrait sur certains points se rapprocher du Schéma de la Roue de Hudson. Pourquoi ?
Le modèle de Hudson qui permet d’illustrer les phases du changement chez un individu, parle aussi de quatre phases.
La phase 1 est une phase de « lancement » (qui rappelle la phase du Quoi ?) car c’est une phase où on analyse le présent pour se projeter dans l’avenir ;
La phase 2 est une phase de « Désynchronisation » (Qui rappelle la phase du Pourquoi ?), où on fait le point, on réfléchit, on se décentre de conflit pour sur se recentrer sur ses besoins ;
Ensuite, la phase de transition pourrait s’apparenter à l’accord sur le désaccord, phase décisive qui fait basculer l’individu dans une étape de recherche de solutions.
La phase 3 est une phase de désengagement, de créativité, où on commence à se projeter et modifier sa vision de la situation.
La phase 4 est la phase de réintégration, de renouveau, où on trouve des solutions, peut-être des accords, où on tente des expérimentations, où on s’engage dans un autre versant de sa vie, où on retrouve la confiance et l’estime de soi et de l’autre.
La médiation peut être cet espace de parole qui accompagnera les personnes dans ce travail nécessaire de deuil. En effet, les étapes nécessaires au travail de deuil, que ce soit la perte d’un être cher, un divorce ou une perte d’emploi, nécessitent de passer par des étapes où on ressent un choc, l’incompréhension, la colère, puis peu à peu vient à la conscience qu’il vaut mieux reconstruire l’avenir pour se reconstruire.
Pour en savoir +
A lire aussi sur ce thème : La roue de Hudson de Brigitte Chareyre
Le médiateur dans l’arène : Réflexion sur l’art de la médiation
de Thomas Fiutak
Date de publication : 12 février 2009 | Série : Trajets
La médiation est de plus en plus sollicitée pour des conflits de toute nature. Contrairement aux apparences, il s’agit d’une activité très complexe qui nécessite une formation spécifique. En effet, le médiateur est toujours confronté à l’inconnu, au doute et au chaos relationnel des personnes en conflit qui le voient souvent comme leur dernier recours. Pour être efficace, il a besoin de réfléchir à son éthique et à son rôle ; de connaître ses réactions personnelles face au conflit et au pouvoir. Il doit s’entraîner à être à la fois acteur et observateur. Sa posture est extrêmement délicate à acquérir et à respecter quelle que soit la nature des conflits traités.
Cet ouvrage constitue un précieux outil de formation et un miroir intelligent pour tous les médiateurs qui, au fil de leur activité, se trouvent confrontés à leurs propres limites et à leurs doutes. L’auteur apporte une vision rafraîchissante et créative de la médiation. Grâce au concept de «l’arène authentique», il montre que la médiation n’est pas un processus isolé mais qu’elle est une action qui s’inscrit dans un contexte socioculturel et qui a un impact sur la société. Les paradoxes, les métaphores et les nombreux cas exposés facilitent la compréhension et la réflexion du lecteur, qu’il soit professionnel ou étudiant, concerné par les situations conflictuelles ou simplement citoyen, salarié, parent, consommateur, voisin…
Universitaire et médiateur, Thomas Fiutak a fondé le Centre de gestion des conflits et de médiation, à l’université de Minneapolis (Minnesota) aux Etats-Unis. Professeur au Business Center de la Pontifica Universidad Catolica à Lima (Pérou). Pédagogue hors du commun, il a formé des centaines de médiateurs dans de nombreux pays. A la fois théoricien et praticien, il s’est inspiré de ses diverses expériences pour élaborer son propre modèle de médiation. Cet ouvrage, écrit en collaboration avec Yvette Colin et Gabrielle Planès, en présente les éléments fondateurs.
CHANGEMENT PERSONNEL :
Aspirations du salarié :
désirs, espoirs, espérance
trois notions successives ?
Cet article décrit trois notions caractérisant les aspirations des salariés dans le processus de changement organisationnel, ceux de désir, d’espoir et d’espérance(1)Le lecteur peut lire le résumé du Café Philo des Phares, paru le 21 février 2010.. Il cherche, aussi, à déterminer si ces trois notions sont ou non successives pour une meilleure conduite du changement. Pour y parvenir, l’auteur s’appuie sur le bilan d’une mission réalisée auprès d’une association loi 1901, en 2006 (cette mission a fait l’objet de 197 pages de compte-rendu et de 149 pages d’entretiens et de réunions). |
1) Les désirs : une raison du bien-être
Pour P.H. Chombart de Lauwe (notre photo), « des objets […] peuvent prendre une importance telle que leur absence déclenche des gestes de désespoir ou fasse naître une attitude de désespérance. »(2)Chombart de Lauwe, Paul-Henri, Pour une sociologie des aspirations, Denoël-Gonthier, 1971, p.36. Pour vérifier les propos de P-H Chombart de Lauwe, voici l’exemple significatif d’une association loi 1901 de 273 membres dont l’objet général est « les NTIC » (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication) permettant un accès ou un perfectionnement à l’informatique.
Cette association est composée de plusieurs « branches » ayant chacune des spécificités en fonction du public visé ou de l’action envisagée : pour les jeunes, pour écrire un livre, pour les personnes en disponibilité, pour apprendre, pour les Seniors, pour réparer le matériel, etc.
Chaque membres peut créer une « branche » et en devenir le pilote dès lors qu’il le désirait. La « branche CAO » (Conception Assistée par Ordinateur) a été créée par un couple. Entendu lors d’entretiens individuels, ce couple souhaitait à l’origine(3)au moment des entretiens, la branche CAO était en sommeil faute de participants. Nous cherchions à savoir pourquoi les membres ne rejoignaient pas cette branche, entre autres missions au sein de l’association) partager leur passion personnelle de l’informatique. Ils voulaient, entre autres, « faire des cartes de visite ». En réalité, le couple avait le désir de partager une passion MAIS l’espoir que d’autres la partageraient.
A la création, tous les espoirs étaient permis ; rapidement une équipe de cinq membres s’était constituée. La création du logo de la branche devait être « le point de départ » afin « d’exister physiquement ». Chacun était « motivé et plein d’idées »(4)Les phrases en italiques rapportent les propos des pilotes lors des entretiens.. Mais, « très vite on s’est retrouvé à trois puis, peu de temps après, à deux. », c’est-à-dire, le couple-Pilote.
Par la suite, piloter cette branche est devenue pour eux une obligation engendrant une « lassitude ». L’enchaînement des faits dans le temps ont abouti à l’expression de regrets, remords et reproches caractérisant leur déception de n’avoir pas pu échanger, communiquer avec les autres membres qui manifestement avaient d’autres désirs.
En clair, pour le couple-Pilote de cette « branche », le désir de réaliser des cartes de visites était exercé en fonction d’une représentation globale axée sur l’utilisation du monde informatique (image avant-gardiste, de prestige). Mais à cela s’impose des motivations plus profondes ; celles liées à un désir plus lointain de rencontrer d’autres adhérents et d’échanger avec eux sur leur passion personnelle.
Il est aisé de constater que les propos sur leurs aspirations révèlent des besoins de communication, de reconnaissance, d’appartenance. Si nous prenons en considération que les faits se sont déroulés sans qu’ils puissent satisfaire ces désirs nous pouvons supposer que cela a engendré le délitement de la branche.
Ce qui voudrait dire qu’il n’y a pas eu de réponse au moins égale au niveau d’aspiration des membres. C’est-à-dire, au niveau d’accomplissement que l’adhérent attendait ; pour mieux l’exprimer, espérait atteindre.
Au fond, le couple-Pilote avait besoin d’attachement, d’affection, d’amitié pour s’affirmer alors que sa compétence et la fonction qu’il occupe, celle de pilote de branche, auraient dû le rendre indépendant de ces besoins.
En somme, le couple part de ses manques pour exprimer une faiblesse, une dépendance aux autres. Autrement dit, exprimer une rupture de solidarité humaine et de besoins sociaux, ici, de reconnaissance et d’appartenance.
Dès lors, cet enchaînement de faits rend possible l’interprétation suivante : le désir d’être reconnu et d’appartenir à un groupe peuvent être tels que leur insuffisance, voire leur carence, entraînent inévitablement des réactions d’angoisses et de désespoirs conduisant à des attitudes de lassitude, d’abandon.
Le regard de l’autre et son écho espéré positif est donc capital. Ainsi, le besoin ne crée pas toujours le désir, le sens du rapport peut être inversé, c’est-à-dire le désir crée le besoin « car le désir a sa source, non seulement dans les pulsions internes, mais dans les sollicitations des images, des représentations. »(5)Chombart de Lauwe, Pour une sociologie…, ib., p.65.
Donc, le désir, bien que partant d’images floues, est une mobilisation de l’individu pour obtenir quelque chose qu’il ne possède pas. Par extension de l’idée : le conserver et le développer s’il le possède déjà.
Mais, si cette première notion souligne, dans cette branche, des déceptions, c’est-à-dire des besoins inassouvis, des aspirations irréalisées engendrant un abandon, à l’inverse, la branche CEB(6)CEB de cette association : Comprendre l’Économie et la Bourse est une branche de cette association usant de progiciels boursiers. est un bel exemple à la fois de réalisation des aspirations et de cohésion.
2) Les espoirs : une bonne raison pour développer un projet
Succinctement, la branche CEB s’est développée à partir de plusieurs étapes successives.(7)« Parce-qu’avant de comprendre les mécanismes de la finance il faut du temps et acquérir une expérience. » en la matière. Cf. les entretiens avec quatre membres de cette branche. La première étape a consisté en l’étude du langage et l’appréhension des rouages de la Bourse. La deuxième, à constituer la mise en place d’un portefeuille fictif d’actions pour « se faire la main » en simulant des investissements. La troisième, de créer un véritable club d’investissement(8) Un club d’investissement est un groupe de personnes qui décident de mettre en commun une épargne mensuelle d’un montant peu élevé.
L’objectif principal de cette démarche est, à la fois, de permettre à ses membres d’apprendre et de comprendre les mécanismes économiques, financiers et boursiers afin de constituer un portefeuille fictif d’actions puis investir réellement en Bourse ; répartir les risques et obtenir une fiscalité avantageuse ; mettre en commun et échanger des « savoirs »..
Ces étapes successives nous font penser au principe d’émergence de Maslow : Si les besoins d’une étape sont satisfaits, il y a développement de l’étape suivante. Ce caractère donne une importance particulière à l’interprétation des rapports entre les membres de cette branche et le but à atteindre, créer un club d’investissement. C’est l’occasion d’exprimer les représentations, les images et les symboles sous l’angle des aspirations.
En clair, l’espoir serait une attente qui prendrait naissance dans un contexte social déterminé (par exemple, il faut gagner de l’argent, le contexte social l’oblige) par un système de valeurs propres (j’ai envie de gagner de l’argent).
Ainsi, pour chacun des membres interviewés et faisant partie de cette branche, nous retrouvons, derrière ces images, des modèles personnels circonscrits par une contingence et des valeurs auxquels ils attachent une grande importance.
Pour exemple, un modèle de la branche auquel se réfère un membre dans son comportement peut l’inciter à s’investir à partir d’intérêts différents de ceux de la réalisation du projet commun. C’est-à-dire, l’association est vue comme un lieu d’expérimentation pour gagner de l’argent(9)Comme l’a exprimé un membre en entretien.
Mais un autre membre, se réfère à un autre modèle et, sous son influence, accorde plus d’importance à des valeurs d’entraide, un certain type de relations sans toutefois abandonner l’idée de gagner de l’argent. Ici, nous supposons que les aspirations changent de niveau et de nature. Elles passent d’une préoccupation (la dimensions sociale) à un intérêt libre (créer le club d’investissement). Donc, dans une certaine mesure le système de valeurs de ce membre s’en trouve modifié bien que le contexte social impose de gagner de l’argent dans tous les cas.
Nous pouvons citer un autre exemple se rapportant non pas à des images mais à un modèle du rôle du pilote de la branche. Brièvement, le Pilote veut exercer un système de type démocratique(10)« Lorsque les aspirations des personnes et des groupes sont prises en considération dans la décision, le pouvoir est de type démocratique. » Chombart de Lauwe, P.-H., Pour une sociologie…, op. cit., p.27. afin d’encourager les membres dans leurs comportements de prises d’autonomie et leurs donne aussi la possibilité de développer des sentiments de satisfaction. Cette approche de la conscientisation semble bénéfique à l’ensemble de la branche et encore plus pour ceux dont le niveau d’aspiration était le plus proche de leurs capacités à les réaliser.
En définitive, lorsque la première notion (le désir) est réalisée, c’est-à-dire lorsque la reconnaissance, la communication et les échanges sont présents, les besoins-aspirations tantôt dépendent d’un système de valeurs, tantôt tendent à le bouleverser au fur et à mesure des situations et des circonstances.
Pour le dire autrement, les espoirs sont d’abord pris entre une perception individuelle des modèles et l’individualité intime de chaque membre de cette branche de l’association. Ainsi, le membre se réfère plus ou moins consciemment à un processus d’élaboration de ses représentations de la branche et des différentes fonctions exercées, différents rôles joués.
Ensuite, les rencontres entre les différents modèles, loin d’aboutir à des oppositions, autorisent un développement. A moins que ce ne soit justement les discordances et les contraintes qui rendent possibles l’assemblage de modèles nouveaux, d’un nouveau système de valeur garantissant le succès : « lorsque le désir, tourné vers un objet, devient aspiration, cet objet est valorisé en fonction d’un système de valeurs propre à une société, à un milieu, à un groupe. »(11)Chombart de Lauwe, P.-H., Pour une sociologie…, ib., p.28.
En d’autres termes, le désir devient espoir lorsqu’un changement attendu plus important peut être réalisé (satisfait). L’espoir est donc lié à la préoccupation de sortir d’un état vers un nouvel état. Nous trouvons là une boucle : au fur et à mesure que le membre de la branche acquiert un sentiment de pouvoir dans ses échanges, la part de l’espoir prend une place de plus en plus grande dans les communications et les échanges ; il acquiert une certaine liberté.
Mais au-delà des désillusions (le désir) et des espoirs perdus, l’espérance (troisième notion) correspond à une posture globale de l’adhérent. En fait, l’espérance permet de garder une raison de vivre dans toutes les circonstances. C’est elle qui motive, qui engage. En ce sens, la branche Littérature (le projet Echap) est un exemple d’espérance.
3) L’espérance : une raison de vivre
Tous les membres composant cette branche Littérature sont en recherche d’emploi, l’âge moyen est de 46 ans. Les membres aspiraient à s’extraire d’une première difficulté : le piège de l’isolement, de la solitude, ennemies perfides du chômeur.
Confirmé par cette personne lasse de son engagement dans le monde associatif : « Échap, parce-qu’on veut s’échapper de ce carcan du chômage.»
Egalement confirmé par le Pilote, journaliste de métier : « la seule issue de secours consiste à rester en contact, en réseau, de manière à demeurer dans la course ». Convaincu du bien-fondé de cette théorie du groupe et de la force libératrice de l’écriture de leur expérience, le pilote a échafaudé un projet de livre écrit à plusieurs mains.
Une expiation, en somme, comme les membres de cette branche se plaisent à répéter, et le choix même du terme « échap« (12)Le nom « Echap » est venu à partir de la touche du clavier informatique « échap » (ou « esc », abréviation de escape en anglais). Sur un ordinateur, cette touche permet, en outre, de fermer des fenêtres, sortir d’une situation. exprime l’envie d’un autre état de celui de chômeur trop âgé.
Pour le Pilote, « prendre le stylo c’est reprendre une parole arbitrairement ôtée par la perte d’emploi. » Le symbole est très fort. Fort comme leur cohésion et leur entraide mutuelle malgré la fraîcheur de leurs relations au début. Ils ne se connaissaient pas. Mais fort comme la constance et l’envie d’aller jusqu’au bout. Chose qu’ils se sont promise et qu’ils ont finalement réalisée fin 2001(13)Les fous du Kiosque Peynet, La Mirandole, 2001. Parce-que, pour eux, « publier un livre c’est interpeller l’Autre sur sa propre conscience d’être, facilitant ainsi de manière indirecte, la réinsertion sociale par l’approche de l’échange et du travail de groupe et de recherche. Comme quelque chose de nouveau, pas vraiment encore défini, qu’il faudrait apprendre. »
En somme, des histoires d’êtres pour une histoire d’être par l’écriture d’une expérience. Une expérience au singulier puisque chacun a pris un rôle dans le livre pour s’exprimer. L’intrigue faisant arbitrage entre les accidents individuels (le chômage, les problèmes familiaux) et leur histoire commune prise comme un tout (la difficulté d’une réinsertion socioprofessionnelle, d’une intégration sociale par un emploi).
A cet égard, on peut dire que cette écriture offre une histoire chargée de sens composée d’événements ou d’incidents. De même, elle transforme les accidents individuels (événements ou incidents) en une histoire commune organisée dans une totalité intelligible. Bref, « la mise en intrigue est l’opération qui tire d’une simple succession singulière une configuration. »(14)Son intrigue fait « médiation entre des événements ou des incidents individuels, et une histoire prise comme un tout. A cet égard, on peut dire équivalemment qu’elle tire une histoire sensée de- un divers d’événements ou d’incidents (les pragmata d’Aristote) ; ou qu’elle transforme les événements ou incidents en- une histoire. » Ricœur, Paul, Temps et récit. L’intrigue et le récit historique, t.1, Point, 1991, p.127.
En clair, le je du texte vient en écho au je singulier. Cette écriture de l’expérience vécue nous a particulièrement touché parce-qu’elle implique l’adhérent dans l’espérance.
De même, elle accepte d’exposer cette commune singularité en construisant, en leur nom propre, l’expérience de chaque membre, une partie de leur histoire.
Dès le départ il n’y a pas eu d’écriture distancée. En fait, c’est le contraire que nous avons perçu : une appropriation. C’est ce qui a été relevé dans le lapsus révélateur du second interlocuteur : « c’est un terme que j’ai employé dans mon li… dans notre livre. »
De plus, cette pratique de l’écriture a la particularité de rencontrer un autre dans la même situation.
Par la réalisation de cette aspiration à témoigner et à expier, l’adhérent est devenu dynamique, a trouvé du courage, décidé de réagir se donnant d’autant plus de chances de réussir son insertion socioprofessionnelle(15)Certains membres de cette branche Littérature ont retrouvé un emploi avant d’achever le livre.. Bref, cette écriture de l’expérience vécue évolue au fil du temps et nous informe d’une éthique en action puisqu’elle assemble les singularités. Donc, elle est à la fois de l’agir individuel et de l’éprouvé commun.
Nous interprétons cette pratique de l’écriture en tant qu’elle facilite le transfert et l’innovation : elle autorise la transformation, le changement. Bref un passage qui touche l’adhérent dans ses jugements du risque encouru. C’est-à-dire n’être pas lu du tout, et donc avoir travaillé pour rien.
Par cela cette pratique de l’écriture, vu comme l’espérance de sortir du chômage, est objet d’échanges. C’est-à-dire, réduit l’isolement. Précisément, besoin recherché par les adhérents-auteurs de ce livre. Mieux, elle permet de consacrer des relations interpersonnelles et des témoignages publics où l’on parle autour et mesure l’émotion de l’adhérent-auteur.
Pour résumer, une intégration du passé dans le présent qui, de ce fait, autorise un possible futur : la réinsertion socioprofessionnelle. Donc, à la fois, un rôle réducteur, des ruptures, voire leur disparition, et un rôle constructif (la réinsertion).
C’est donc à partir de l’espérance de la réalisation d’un centre d’intérêts (écrire un livre) que sont apparues les aspirations de cette branche (écrire un livre pour « dire », témoigner d’un mal-être). Mais c’est surtout en gardant en filigrane Michel de Certeau qui dit : « Une théorie du récit est indissociable d’une théorie des pratiques, comme sa condition et en même temps que sa production. »(16)Certeau, Michel (de, notre photo), L’invention du quotidien 1. arts de faire, Gallimard, coll. Essais, 1990, p.120.
En résumé, si l’émergence de l’espérance personnelle est mue par un manque, une rupture sociale par exemple, elle n’en est pas moins transformée en aspirations personnelles de réduction de ce manque, de cette rupture. Mais, l’adhérent conscient de sa situation réelle peut transformer son aspiration personnelle en aspiration collective de création d’un projet nouveau qui tendra à la réduction de ses ruptures sociales. Ainsi, le membre se porte toujours avec un autre vers un état qui lui semble meilleur que le sien en fonction d’une vue générale qu’il peut avoir de la société ou d’une situation.
4) Synthèse des trois notions : de la succession au lien intime
D’une manière plus générale, la réalisation des aspirations permet de satisfaire progressivement un certain nombre de besoins.
Les exemples de situations précédentes montrent que les aspirations peuvent être observées en fonction des comportements et des représentations.
C’est la raison pour laquelle, du simple désir (image plus ou moins fugitive)(17)« Le désir, lié à l’inconscient, à la partie la plus intime de la personne, prend sa source dans des événements de la vie du sujet et ces événements sont marqués par le cadre social dans lequel l’individu a vécu. […] L’histoire personnelle de l’individu est étroitement liée à la structure et à l’histoire de la société dont il fait partie. Il n’est pas possible de comprendre l’une sans se référer à l’autre. La psychologie ne peut pas ignorer la sociologie. » Chombart de Lauwe, P-H., Pour une sociologie…, ib., p.28-29 à l’espérance (attitude globale), en passant par les espoirs (attente d’un changement), les salariés d’une organisation se situent dans « un mouvement d’ensemble qui les prend tout entier sans qu’ils puissent toujours distinguer nettement ce qui différencie leurs désirs, ce qui relie leurs espoirs, ce qui les unit dans l’espérance. »(18)Chombart de Lauwe, Pour une sociologie…, ib., p.38.
Par là, les besoins-aspirations expriment la personnalité tout entière de l’individu dans un contexte donné, du salarié dans une organisation.
Donc, « les hommes n’aspirent pas seulement à acquérir des biens, même immatériels ; ils aspirent à atteindre certains états et à réaliser les conditions dans lesquelles ces états seront possibles, en particulier en créant des structures nouvelles. »(19)Chombart de Lauwe, Pour une sociologie…, ib., p.37. « L’état » peut être interprété en tant que « statut d’individu » inconsciemment visé par des actions singulières (le désir, l’espoir et l’espérance) et l’expression « structures nouvelles » comme une figure globale interactive, interdépendante et réciproque, toujours changeante ; c’est-à-dire une configuration (comme un projet, par exemple).
Néanmoins, les aspirations comportent toujours le risque d’une grande vulnérabilité face aux tentatives de leur satisfaction. D’où les possibles désillusions, désespoirs et désespérances. Mais, les transformations qui s’opèrent alors sur les représentations dans les interrelations et les interactions amènent toujours l’individu (en l’occurrence un salarié) participant à jouer un rôle de plus en plus engageant dans ses propres décisions et orientations. Il change.
Car les projets personnels se présentent petit à petit comme des projets communs. Les valeurs personnelles sont alors mobilisées en vue d’objectifs liés à la satisfaction des besoins commun (par exemple, un projet) et par extension à la satisfaction des besoins personnels.
A cette fin, les notions de désir, d’espoir et d’espérance se lient pour intervenir sur les comportements (engagement, motivation, abandon). Ce qui fait de la réalisation des projets menés (ici, par les branches de cette association que l’on peut étendre à n’importe quelle organisation), quelque chose d’autre qu’une simple activité.
Pour en savoir +
Notes de l`article [ + ]
1. | ↑ | Le lecteur peut lire le résumé du Café Philo des Phares, paru le 21 février 2010. |
2. | ↑ | Chombart de Lauwe, Paul-Henri, Pour une sociologie des aspirations, Denoël-Gonthier, 1971, p.36. |
3. | ↑ | au moment des entretiens, la branche CAO était en sommeil faute de participants. Nous cherchions à savoir pourquoi les membres ne rejoignaient pas cette branche, entre autres missions au sein de l’association) |
4. | ↑ | Les phrases en italiques rapportent les propos des pilotes lors des entretiens. |
5. | ↑ | Chombart de Lauwe, Pour une sociologie…, ib., p.65. |
6. | ↑ | CEB de cette association : Comprendre l’Économie et la Bourse est une branche de cette association usant de progiciels boursiers. |
7. | ↑ | « Parce-qu’avant de comprendre les mécanismes de la finance il faut du temps et acquérir une expérience. » en la matière. Cf. les entretiens avec quatre membres de cette branche. |
8. | ↑ | Un club d’investissement est un groupe de personnes qui décident de mettre en commun une épargne mensuelle d’un montant peu élevé.
L’objectif principal de cette démarche est, à la fois, de permettre à ses membres d’apprendre et de comprendre les mécanismes économiques, financiers et boursiers afin de constituer un portefeuille fictif d’actions puis investir réellement en Bourse ; répartir les risques et obtenir une fiscalité avantageuse ; mettre en commun et échanger des « savoirs ». |
9. | ↑ | Comme l’a exprimé un membre en entretien |
10. | ↑ | « Lorsque les aspirations des personnes et des groupes sont prises en considération dans la décision, le pouvoir est de type démocratique. » Chombart de Lauwe, P.-H., Pour une sociologie…, op. cit., p.27. |
11. | ↑ | Chombart de Lauwe, P.-H., Pour une sociologie…, ib., p.28. |
12. | ↑ | Le nom « Echap » est venu à partir de la touche du clavier informatique « échap » (ou « esc », abréviation de escape en anglais). Sur un ordinateur, cette touche permet, en outre, de fermer des fenêtres, sortir d’une situation. |
13. | ↑ | Les fous du Kiosque Peynet, La Mirandole, 2001 |
14. | ↑ | Son intrigue fait « médiation entre des événements ou des incidents individuels, et une histoire prise comme un tout. A cet égard, on peut dire équivalemment qu’elle tire une histoire sensée de- un divers d’événements ou d’incidents (les pragmata d’Aristote) ; ou qu’elle transforme les événements ou incidents en- une histoire. » Ricœur, Paul, Temps et récit. L’intrigue et le récit historique, t.1, Point, 1991, p.127. |
15. | ↑ | Certains membres de cette branche Littérature ont retrouvé un emploi avant d’achever le livre. |
16. | ↑ | Certeau, Michel (de, notre photo), L’invention du quotidien 1. arts de faire, Gallimard, coll. Essais, 1990, p.120. |
17. | ↑ | « Le désir, lié à l’inconscient, à la partie la plus intime de la personne, prend sa source dans des événements de la vie du sujet et ces événements sont marqués par le cadre social dans lequel l’individu a vécu. […] L’histoire personnelle de l’individu est étroitement liée à la structure et à l’histoire de la société dont il fait partie. Il n’est pas possible de comprendre l’une sans se référer à l’autre. La psychologie ne peut pas ignorer la sociologie. » Chombart de Lauwe, P-H., Pour une sociologie…, ib., p.28-29 |
18. | ↑ | Chombart de Lauwe, Pour une sociologie…, ib., p.38. |
19. | ↑ | Chombart de Lauwe, Pour une sociologie…, ib., p.37. « L’état » peut être interprété en tant que « statut d’individu » inconsciemment visé par des actions singulières (le désir, l’espoir et l’espérance) et l’expression « structures nouvelles » comme une figure globale interactive, interdépendante et réciproque, toujours changeante ; c’est-à-dire une configuration (comme un projet, par exemple). |
Le changement :
Des organisations à l’individu… et vice versa ! (1re partie)
LE CHANGEMENT ORGANISATIONNEL
(1er chapitre)
Que nous soyons un responsable du changement, un salarié ou alors tout simplement un individu, nous retrouvons le changement au cœur de trajectoires et de stratégies n’ayant pas toutes les mêmes causes ni les mêmes réalités. Ainsi, entendons-nous parler de changement personnel, de changement organisationnel, de changement économique, de changement politique, de changement social… les sociétés modernes semblent entraînées dans un tourbillon de « changements » sans cesse croissant. Il n’y a pas lieu d’en être bouleversé, le changement fait partie intégrante de nos vies ! Ce dossier s’adresse à tous ceux qui vivent le changement et à tous ceux qui veulent comprendre le changement. |
Rien n’est figé, tout est changeant !
Rappelez-vous la phrase célèbre : « …nous ne nous baignons jamais deux fois dans le même fleuve… ». Héraclite voulait signifier, par là, que tout était en perpétuel changement, en constant mouvement, même notre vie intérieure(1)Pour philosopher un peu, nous pourrions peut-être considérer que le ‘présent’ ne change jamais ?.
Bouddha n’a-t-il pas dit : « Il n’existe rien de plus constant que le changement » ?
Une chose est sûre : le CHANGEMENT est l’un des mots dominant de notre temps ; il s’immisce partout !
Néanmoins, nous réduirons ce thème du changement vers et dans le contexte du travail.
Autrement dit, nous axerons ce dossier uniquement sur le changement organisationnel et sur son corolaire : le changement personnel, pour essayer de jauger le changement personnel DANS le changement organisationnel.
Ainsi, pour commencer, après un essai de définition de l’expression « changement organisationnel » si communément employée, la première partie va en évaluer quelques caractéristiques.
Ensuite, dans une deuxième partie, nous pointerons le changement personnel. Du moins, ce qui permet de changer individuellement, d’accepter les changements constants dans une perspective d’intérêts liés entre soi et l’organisation. Chemin faisant, nous aborderons les émotions, les affects, les valeurs et les références identitaires.
Enfin, la troisième partie de ce dossier, présentera un « petit guide à l’usage du changement » permettant, aux responsables du changement, de conduire et de réussir le changement organisationnel. Ainsi nous nous focaliserons sur les conduites qui sauvent afin de sortir des blocages pour évoluer dans une relation gagnant-gagnant entre soi et l’organisation.
PREMIÈRE PARTIE, PREMIER CHAPITRE
Comme nous venons de le préciser, nous aborderons le changement uniquement sous l’angle organisationnel et personnel. Nous allons commencer par faire un état des lieux tout en nous questionnant, en filigrane, sur le le thème du changement en général. Ceci nous permettra de développer plus facilement les deuxième et troisième parties de ce dossier.
LE CHANGEMENT ORGANISATIONNEL
A. Etat des lieux
Le changement est partout présent dans les organisations. Il accompagne l’évolution et les mutations diverses des différentes stratégies, elles-mêmes contraintes par plusieurs forces : nouveaux apprentissages, flexibilité, innovations technologiques, évolutions techniques et matérielles, mouvements dans la hiérarchie, modification d’activités, mutations, fusions, délocalisations, restructurations, réorganisations, investissements, désinvestissements, etc.
Conjointement, les organisations doivent gérer des situations accrues d’instabilité ou de bouleversements de leur environnement : faillite de partenaire, perte ou gain de marchés, mobilité du personnel, migration de commercialisation sur l’Internet, évolution informatique, situation de crise (économique, financière ou sociale)…
Au-delà de l’aspect stratégique des organisations, le changement organisationnel pose aussi la question du point de vue social, particulièrement, sur le plan des relations au travail : quelles sont les contraintes et freins inhibant le changement organisationnel : croyances, incertitudes, concurrence, doutes, procédures inadaptées, etc. ?
Les nombreuses situations de changements organisationnels foisonnants et fluctuants conduisent parfois à des initiatives individuelles et à une collaboration spontanée ou/et volontaire dans les tâches quotidiennes au travail et à tous les niveaux hiérarchiques.
Certaines organisations l’ont bien compris et, de manière acharnée, ce sont lancées à promouvoir cette voie ; avec peu de succès, il faut bien le reconnaître car :
– premièrement, elle est généralement effectuée sans harmonisation, normalisation et formalisation visant à assurer, à la fois, le partage des informations et le « partage du sens » (nous reviendrons sur le sens dans la deuxième partie de ce dossier), et,
– deuxièmement, la démarche de l’organisation est beaucoup trop connotée du sentiment qu’elle vise son seul intérêt au complet détriment de celui des salariés.
Il en va ainsi des groupes de travail, de la réduction des niveaux hiérarchiques, techniques de motivations et training divers effectués par les organisations et imposés par les organisations : « mon patron me paie un week-end dans un château pour que je sois plus productif ».
B. Définition du changement organisationnel
Même si nous avons parfaitement conscience du caractère non exhaustif d’une définition du changement organisationnel (il existe d’ailleurs de nombreuses définitions), tenter de le définir suppose de dépasser les lieux communs.
Avez-vous remarquez lorsque vous demandiez à quelqu’un « qu’est-ce que le changement organisationnel ? », la réponse était invariablement la même : « un changement dans l’organisation ! ».
Vous en conviendrez aisément, cette réponse est largement insatisfaisante car, non seulement trop vague, elle reste totalement muette sur ce que vise le changement, qui en profite et surtout : qu’est-il, intrinsèquement ?
Par ailleurs, si vous appelez les auteurs dans le champ du management pour définir le changement organisationnel, nous retrouvons systématiquement une idée de STRATÉGIE pour évoluer, progresser, se transformer, atteindre des objectifs… se traduisant concrètement par des actions ou des procédures sur une période déterminée.
Du côté de la sociologie, le changement organisationnel est un double apprentissage indissociable pour les personnes impliquées ; celui de nouvelles manières de faire (travail) et de nouvelles manières de coopérer (relations).
La psychosociologie s’appuie sur la physique pour expliquer le changement organisationnel. En effet s’il s’agit « d’un passage d’un état A à un état B ». Ce qui signifie qu’il implique un PROCESSUS DYNAMIQUE d’émergence (de l’état B), parfois turbulents, qu’il paraît profondément intéressant d’examiner.
Allez, allons-y, risquons-nous à une définition :
Qu’est-ce que le changement organisationnel ?
« Le changement organisationnel est un concept de gestion couvrant un ensemble de mutations dynamiques internes, subies ou désirées par les parties concernées, permettant le passage d’un état présent à un état convoité considéré comme plus approprié. »
Cette définition s’attache à mettre en exergue cet aspect de « mutations dynamiques » qu’il nous paraît le plus important à examiner dans nos interventions ISRI sur le terrain.
Repères du changement organisationnel
1) Différentes approches
Curieusement, les différentes approches du changement organisationnel se rejoignent dans la vision d’une opération mécanique qui vise à planifier, à anticiper dans une démarche globale et collective faisant l’objet d’un apprentissage et d’une institutionnalisation.
Il va sans dire que le décalage avec la réalité du terrain est important car ces approches ne considèrent pas les urgences, les applications de recettes, les décisions décrétées, etc.
Les travaux critiques de Vincent de Gaulejac et Christophe Dejours (nos photos) insistent sur les effets pervers du changement permanent : démotivation, épuisement professionnel (burn out), stress, précarisation…
Alors que Kurt Lewin (1890-1947 – notre photo), pionnier de la psychologie sociale et de la dynamique des groupes avait déduit de ses expériences, dès 1944, que tout changement doit être porté par l’ensemble des parties prenantes et agir sur des normes partagées.
Dans les années 50, les travaux du Tavistock Institute de Londres considèrent qu’il faut tenir compte, à priori, du travail humain, notamment pour concevoir les installations et les postes de travail.
Joan Woodward (1916-1971) soutient que le changement est un processus d’adaptation à des variables contingentes, notamment celles liées à l’influence déterminante de l’innovation technologique.
Sur la même idée, d’autres auteurs (Perrow, Pettigrew, Mintzberg) introduiront d’autres facteurs, ceux de pouvoir, de nature du travail, de coordination, entre autres.
Il existe aussi une multiplicité d’approches cognitives selon laquelle le changement résulte des capacités d’apprentissage individuel et collectif. Par exemple remettre en cause ses représentations pour faire face à une difficulté.
Bien entendu, nous ne pouvons pas oublier Michel Crozier (notre photo – sociologie des organisations) qui a mis en évidence les cercles vicieux et les rigidités bureaucratiques, facteurs de résistance ; ainsi qu’Erhard Friedberg qui montre l’absolue nécessité d’un apprentissage collectif visant de nouvelles manières de coopérer et de raisonner.
Enfin, constatons que désormais, il se développe de plus en plus de recherches sur la communication interpersonnelle donnant naissance à des méthodes de construction résultant de processus d’interaction entre les individus.
2) Outils du changement
Trop souvent encore, les cabinets de conseil commercialisent soit l’application de recettes, soit des interventions visant la « transformation ». Le tout s’apparentant à un modèle générique de résolution de problèmes très connu : audit, préconisations de solutions, accompagnements et vérification.
Ainsi, nous trouvons différents outils issus des travaux des auteurs cités plus haut comme l’analyse stratégique, les techniques communicationnelles, l’analyse des vecteurs, les techniques de développement organisationnel (T-Group, team-building, direction par objectifs), les approches sociotechniques et les outils de changement stratégique (TQM Total Quality Management ou Qualité Totale, reengineering ou reconfiguration), entre autres.
Voyons, en quelques mots certains outils :
L’analyse stratégique est une méthode d’intervention sociologique permettant de mettre en exergue les stratégies des acteurs, les relations de pouvoir et les jeux d’alliance. Cette méthode est souvent utilisée lors d’analyses institutionnelles ou d’analyses de la qualité sociale préalables à une démarche de changement organisationnel ou social.
Les techniques communicationnelles appellent les champs de la psychologie. On peut y trouver l’analyse transactionnelle, la systémie, l’analyse situationnelle…
L’analyse des vecteurs permet d’identifier les forces favorables et antagonistes au changement.
Le T-Group vise à réguler les relations au sein des équipes en aiguisant la conscience que les salariés ont de leurs comportements, notamment ceux de (dé)motivation.
La direction par objectifs structure (du moins cherche à structurer) les relations encadrant-subordonnés en fixant des résultats à atteindre.
Le Team-building consiste à constituer des équipes de travail autonomisés dans les objectifs et l’analyse du fonctionnement du groupe constitué.
Les approches sociotechniques sont des techniques anti-tayloriennes par excellence. Elles sont fondées sur l’idée de la « démocratie en entreprise », notamment pour la conception des postes de travail. Actuellement plutôt à l’abandon, ces types d’approches ont connu un certain succès dans les années 70 avec l’exemple célèbre des usines Volvo.
La Qualité Totale (TQM : Total Quality Management) est une politique globale visant la satisfaction du client et l’amélioration permanente de la qualité. C’est de là que sont nés les fameux Cercles de Qualité.
Enfin, le reengineering (reconfiguration, en français) a pour but de redéfinir les buts de l’organisation. Aujourd’hui, ce terme s’est glissé à l’ensemble des opérations de « mise à plat » de l’entreprise.
Pourtant ces recettes et ces interventions sont incomplètes car elles essayent de formater les salariés plutôt que de les adapter au changement en les considérant pour ce qu’ils sont : la véritable richesse de l’organisation !
Deuxième chapitre : Résistance au changement : est-ce bien rationnel ?
Pour en savoir +
Notes de l`article [ + ]
1. | ↑ | Pour philosopher un peu, nous pourrions peut-être considérer que le ‘présent’ ne change jamais ? |
La Gestion des Objectifs :
Dynamique du Changement
La Gestion des Objectifs :
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1. L’objectif est-il réaliste ?
L’influence de l’entourage (parents, proches…), le conditionnement socioculturel, les représentations collectives et toute une série de phantasmes personnels poussent les individus à s’imposer des buts sans rapport avec leurs capacités et leurs aspirations véritables.
En la matière, les excès de prudence et de circonspection sont, à tout prendre, nettement préférables à l’outrecuidance. Au moins lors des phases de démarrage, car l’expérience venant, rien n’interdit davantage d’audace. Mais, il n’empêche : peu de personnes peuvent suivre une thérapie afin d’arrêter de fumer, perdre du poids, se remettre au sport, traiter leur phobie de l’eau, le tout simultanément. Beaucoup surestiment leur capacité à soutenir la cadence du changement et sous-estiment gravement les phénomènes de résistance psychologique.
Pas de boulimie de transformation, donc ! Les cas de « reconfiguration » de la personnalité existent, mais restent l’exception. Programmer les changements mesurés, progressifs, reste la meilleure façon d’éviter de venir grossir les rangs des déçus du développement personnel.
2. L’objectif est-il cohérent ?
A leur insu, beaucoup de personnes se fixent des buts différents à tous points de vue, voire franchement contradictoires. Une telle stratégie a peu de chance d’aboutir. Exemples : désirer se retirer en zone rurale et, simultanément, développer une vie sociale intense ; prendre une année sabbatique pour exercer une activité artistique et évoluer au sein de son entreprise.
Ne souriez pas, mais livrez-vous plutôt à l’introspection pour vérifier la cohérence de vos buts. Le dialogue thérapeutique peut aider à les hiérarchiser selon une échelle de priorité structurée et pensée.
3. L’objectif est-il motivant ?
Cela semble évident, mais un objectif doit susciter chez celui qui le conçoit désir, voire avidité. Sur ce point,le cas des mystiques frénétiques souhaitant, selon l’expression consacrée, « s’unir à Dieu », fût-ce au prix de leur intégrité physique ou mentale, est édifiant.
Sans pousser jusqu’à de tels paroxysmes psychiques, l’objectif doit être suffisamment attirant pour justifier une action plein d’ardeur et de détermination. Sans oublier de salutaires phases de repos et de décompression.
C’est bien connu : qui veut voyager loin ménage sa monture.
4. L’objectif est-il mesurable ?
Ce point est crucial. En effet, comment sait-on qu’un objectif a été atteint ? Par le résultat observable et… observé.
Dans certains cas, la chose est aisément réalisable : celui qui fumait vingt cigarettes par jour n’en consomme plus que deux ; celle qui a recours au TCC pour préparer un important examen a réussi ou bien échoué. Aucune place laissée à l’interprétation.
En revanche, que dire de celui dont l’objectif est d’améliorer globalement ses qualités relationnelles, superbe thème de développement personnel au demeurant ?
Réponse pratique : découper l’objectif général en buts secondaires formalisés avec soin et toujours formulés avec précision (le maître-mot) : mieux s’exprimer en groupe, enrichir son carnet d’adresses et de rendez-vous, etc. Puis confronter les actions engagées aux résultats effectifs sur le mode avant/après.
5. L’objectif est-il réellement souhaitable ?
La question peut sembler superfétatoire. Néanmoins, nul ne saurait en faire l’économie. D’où l’emploi du terme « réellement » dans le libellé de la question.
Envisager par anticipation toutes les conséquences de l’accomplissement visé est une tâche impossible. Raison supplémentaire pour se concentrer sur le hautement prévisible, connaissable, maîtrisable.
Exemple : je peux rêver d’accéder à une certaine notoriété qui, à terme, risque de me peser ; enthousiasmé par des vacances réussies, je me fixe comme but de devenir un insulaire, mais, à la longue, est-il si agréable de vivre en permanence sur une île ?
Que vous décidiez d’agir seul ou avec l’aide d’un « accompagnant », retenez que la réalisation d’un objectif (à finalité pratique) suppose de le définir avec la plus grande précision possible : évolution professionnelle, comportement à modifier, compulsion à juguler, préparation à une épreuve sportive, intellectuelle, peu importe le thème.
On ne saurait trop insister sur cet impératif de précision. Cette matrice fournit un cadre formel pour réfléchir, décider, agir et envisager ce que l’on désire atteindre, sous tous les angles.
D’après Gilles Prod’Homme,
consultant formateur associé ISRI ; à partir de son livre « Le guide du mieux-être »
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Lire quelques extraits :
Prologue (8p)
Lire un extrait du sommaire (6p)
Lire un extrait de l’introduction (12p)
Lire un extrait du chapitre 2 (31p)
Le modèle d’HUDSON
Le modèle d’HUDSONNB : Cet article est un article additionnel au dossier en trois parties sur Les changements dans les entreprises, font suite à des besoins identifiés : fusion de structures, meilleure rentabilité, amélioration de la qualité, nouveaux besoins de la clientèle… Ils portent sur l’organisation, les processus métier, la masse salariale, le cadre de travail, et bien d’autres aspects du fonctionnement de l’entreprise. |
Au niveau de chacun, le (photo ci-contre) permet de comprendre les différentes phases des changements ainsi que ce que nous vivons à titre professionnel aussi bien que personnel.
Le cycle de Hudson est composé de deux grandes parties qui sont elles-mêmes composées de deux sous parties :
I. Le « chapitre »
C’est une partie au cours de laquelle, on est tourné vers l’extérieur, c’est une partie dynamique et conquérante.
1) La phase d’alignement et de lancement :
- Rêve et plan : étape de concentration, de réflexion, d’analyse, d’échafaudage de l’avenir, de fixation des objectifs
- Lancement : c’est la mise en œuvre des actions, période pendant laquelle nous sommes occupés, actifs
- La phase Plateau : étape de stabilisation, de reconnaissance des efforts, de satisfaction, de confiance
2) La phase de désynchronisation :
- Marasme : étape de déclin, de fatigue, on a le sentiment de s’être fait piéger, on résiste mais on a du mal-être..
- Classement : étape de réflexion, on fait le point sur ce qui va/ne va pas, ce qu’on veut/ne veut pas…
II. La « transition ou restructuration »
C’est une partie pendant laquelle, on prend du recul, de la distance avec la situation et aussi celle où nous nous interrogeons, étape de mini transition qui permet d’engager la réflexion sur le « après » et qui sera la base de la construction de la future étape de « rêve et plan ».
1) La phase de désengagement :
- L’Adieu : la fin d’une période, à la fois douleur et soulagement, acceptation et courage…
- Le cocooning : période pendant laquelle on est triste, déçu, nos illusions se sont envolées… on se replie sur soi dans la solitude, on se pose des questions existentialiste
2) La phase de réintégration :
- Le renouveau de soi : on retrouve la paix interne et son estime de soi, la croissance est de retour…
- L’expérimentation : période dans laquelle on teste de de nouvelles expériences, on fait de nouvelles rencontres, on rejoint des réseaux, on apprend, on imagine…
Les différents « états internes » et du « soi »
Rarement choisi, plus généralement subi par les salariés, le changement d’organisation nécessite un processus d’adaptation individuel qui peut également être géré grâce à la roue de HUDSON et aux différents états internes que nous sommes amenés à vivre :
1 – Phase d’alignement et de lancement : État interne : stabilité, accomplissement État interne : instabilité, remise en question État interne : cocooning, sans énergie État interne : expérimente, s’apprête à une nouvelle vie NB : Il peut y avoir des allers-retours entre les phases, le cycle n’est pas toujours linéaire. Après une « perte » de la situation passée, l’étape la plus difficile à vivre est celle de la courbe de deuil. Cette courbe représente avant tout les phases du processus décrites par la psychiatre et psychologue américaine Elisabeth Kübler-Ross (photo ci-contre) dans les démarches d’accompagnement aux soins palliatifs et sur lesquels nous pouvons nous appuyer pour les adapter au monde de l’entreprise. 1) Accepter la perte de la situation passée, accepter sa fin Pour se reconstruire, il est indispensable d’accepter la perte ! 1) La première phase est constituée d’une période descendante qui est significative d’une attitude négative, de refus de la réalité, qui reste tournée vers le passé et qui d’un point de vue professionnel, correspond souvent à un manque de performance. Les émotions négatives sont prédominantes : Le phénix renaît de ses cendres ! 2) La deuxième phase est une période ascendante dans laquelle l’attitude redevient positive, après avoir accepté la perte précédente, elle redevient positive et tournée vers le futur. D’un point de vue professionnel, c’est une période productive. On y retrouve encore des perceptions négatives mais les émotions positives reprennent le dessus. Connaitre ces phases de la courbe de deuil, qui sont des « passages obligés » permet de comprendre les résistances au changement dans l’entreprise et ainsi d’accompagner chacun en fonction du temps qu’il met à parcourir ces étapes. D’après Jacques-Antoine Malarewicz, spécialiste de l’approche systémique, les changements dans les entreprises se succèdent actuellement à un rythme trop rapide pour que les employés puissent compléter les étapes de la courbe du deuil : un changement chasse l’autre. Or, « les deuils non faits peuvent coûter cher à l’entreprise car ils favorisent une forme de nostalgie (« C’était mieux avant ») et empêchent les salariés de se mobiliser sur l’avenir. » [Jacques-Antoine Malarewicz – « Petits deuils en entreprise », Pearson, 2011]. la Roue de Hudson permet d’éclairer le chemin de changement d’une personne en permettant à celle-ci de se positionner et de comprendre ce dont elle a besoin pour utiliser au mieux son investissement intellectuel, affectif et matériel. Par un questionnement adapté l’on déterminera avec clarté quelle étape est la sienne : faire le point, redonner du sens, repositionner ses valeurs, envisager un avenir ouvert sont autant de pas essentiels pour franchir cette étape. À partir de là, la personne trouvera en elle et autour d’elle les « ressources » appropriées pour obtenir et conserver la maîtrise de « son bateau » et réaliser ses objectifs. Bien des étapes nécessitent le recours à une intelligence émotionnelle, en particulier dans la phase V « faire le deuil »
Sentiments : confiance, dynamisme, envie, désir, compétition, harmonie, gagneur
SOI : HÉROÏQUE2 – Phase de désynchronisation :
Sentiments : en colère, abattu, coincé, en déclin, perdant
SOI : DÉSENCHANTÉ3 – Phase de désengagement :
Sentiments : colère, lâcher-prise, tristesse, solitude, dépression, soulagement et espoir
SOI : INTÉRIORISÉ4 – Phase de réintégration :
Sentiments : confiance, joie, désir, envie d’apprendre, bien dans sa peau
SOI : PASSIONNÉ
Il s’agit pour chaque collaborateur de l’entreprise de « subir » deux périodes :
2) Se reconstruire jusqu’à la nouvelle situation
Dans ces deux grandes phases, on voit :
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