Après une longue carrière dans la presse financière et dans le conseil en communication, Gilles Prod’homme, a développé une nouvelle approche du management et du leadership à partir de la philosophie. Il a publié une dizaine d’ouvrages sur le management, le développement personnel et la philosophie (Dunod, Eyrolles). Aujourd’hui, il intervient comme consultant et formateur ISRI, auprès d’un public de décideurs. |
L’auteur
Gilles Prod’Homme,
philosophe
journaliste
consultant-formateur en management
|
La critique des fondamentaux du management et de ses outils a récemment trouvé une nouvelle illustration avec la remise en cause de la surexploitation de PowerPoint. Le réflexe qui nous pousse à employer le célèbre logiciel de Microsoft, s’avère riche d’enseignements. Décryptage.
Des top managers aux étudiants, l’usage systématique des « slides » a construit une véritable matrice mentale aujourd’hui partagée par des centaines de millions d’êtres humains.
L’épisode qui a eu les honneurs d’Internet pendant des semaines, illustre à merveille les dérives d’une utilisation non maîtrisée, c’est-à-dire non pensée, du fameux logiciel de présentation du pack Microsoft :
En 2010, le New York Times, sous le titre, « Nous avons rencontré l’ennemi et c’est PowerPoint » présentait les remarques narquoises, voire franchement hostiles, de membres du haut commandement en charge des forces de l’OTAN déployées en Afghanistan. Face à l’accumulation de présentations PPT toujours plus nombreuses et surtout, truffées de schémas devenus illisibles à force de complexité, les militaires ont parlé sans langue de bois : « Lorsque nous aurons compris ce slide nous aurons gagné la guerre », « PowerPoint est en train de nous rendre complètement idiots », « L’utilisation de Power Point à outrance est dangereuse car elle donne une illusion de contrôle sur une situation donnée». Je renvoie les lecteurs intéressés, au blog du journaliste Francis Pisani.
Le PowerPoint « pollueur » c’est toujours celui… des autres
Ces propos en disent long sur l’exaspération, pour ne pas dire plus, des décideurs (en l’occurrence des militaires) sur la pandémie de « diapositivite » qui sévit sur nos ordinateurs. Les victimes, ou supposées telles, souhaitent identifier les responsables. Parmi les cibles visées : l’hégémonie de Microsoft cherchant à imposer ses standards informatiques, les consultants, incapables d’aligner trois phrases sans infliger à leurs auditeurs une batterie de schémas, les experts, les ingénieurs, les publicitaires, les responsables marketing, bref, tous ceux dont le métier repose pour partie sur la conviction par l’argumentation. Exception notable : jusqu’à présent, aucun responsable politique n’a eu l’idée de manipuler PowerPoint pour exposer ses idées à la presse.
Évidemment, la grogne naît du trop-plein, exactement comme l’abus de chocolat conduit invariablement à la nausée. A cet égard, force est de constater que nous sommes tous responsables.
En clair, les « victimes » de l’inflation de PowerPoint l’exploitent également sans vergogne. Et il en va de la manie du PowerPoint comme de l’obsession du reporting : on supporte difficilement le soi-disant excès de schémas, de tableaux et de matrices de ses collaborateurs, mais on a soi-même la main lourde quand on produit une présentation ou un rapport, qu’autrui jugera tout aussi insupportable.
Pour revenir à l’exemple cité au début de cette chronique, certains généraux américains ont osé jouer la rupture en interdisant purement et simplement le recours à PowerPoint lors de certaines réunions de travail. Attitude radicale, dont les managers devraient toutefois s’inspirer. Comment ? Tout simplement, en établissant une authentique cartographie des réunions avec ou sans PPT. Et en ayant la ténacité de faire respecter les bonnes résolutions prises.
Obstacle à la communication dans certains contextes, un slide construit pour éclairer – et non pour impressionner – peut, à d’autres moments, favoriser la réflexion. Et puis, un slide peut être parfaitement iconoclaste ! Tout comme dans un film bien construit, une virgule sonore vient souligner l’importance de l’action en cours, un slide intelligent peut faire ressortir une idée féconde.
Seul problème : le « PowerPoint management », autrement dit, l’apprentissage de la gestion intelligente des diapositives, ne figure pas encore au catalogue des compétences attendues chez un manager.
Une fois posé ce cadre, il devient possible d’éliminer une série de faux problèmes :
La crainte du « formatage mental » ne vaut que pour ceux qui ont déjà abdiqué l’exercice de la réflexion personnelle. Les autres prennent PPT pour ce qu’il est : un outil, d’ailleurs excellent, mais rien d’autre. En pratique, il faut prendre une bonne fois pour toutes la décision, car c’en est une, de ne plus se laisser impressionner par l’effet de masse. Les auteurs d’études et autres rapports travaillant au sein d’officines, cabinets, groupes de pression et autres think tanks, entassent, chacun le sait, tableaux abscons et renvois de notes superfétatoires. Mais une fois retiré l’habillage que reste-t-il ? Telle est l’unique question à se poser.
Privilégier l’audace d’une pensée réellement personnelle
Enfin, lorsqu’on est soi-même l’émetteur du contenu (étude, présentation…) l’autre interrogation essentielle à envisager froidement est la suivante : « Pourquoi est-ce que je ressens le besoin de rajouter une cinquième diapositive, alors qu’en mon for intérieur, je sais que trois suffisent amplement ? ». Si la tentation du quantitatif vous taraude, c’est que vous êtes en passe de transformer l’outil en prothèse. Et que vous avez passé par pertes et profits, l’incontournable dialectique au cœur de tout acte de communication :
message/médium, contenu/contenant (…).
Les traditions mystiques d’Orient et d’Occident affirment que l’intellect est certes un bon serviteur mais toujours un mauvais maître. La remarque s’applique à merveille à nos chers fichiers PPT.
En conclusion, ce n’est donc pas PowerPoint qu’il convient de brûler, mais bien plutôt une forme de paresse intellectuelle qui nous fait préférer un usage irraisonné de l’outil, à l’audace d’une véritable réflexion personnelle. Attitude par définition plus exigeante.