Juin 292014
 

Dossier ISRI FRANCELe changement : deuxième partie
Comprendre le changement personnel
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L’USAGE DE MANIÈRES DE FAIRE :
LA QUINTESSENCE DU CHANGEMENT

Ce dernier chapitre clos la deuxième partie sur le changement personnel. Ainsi, nous avons déblayé jusqu’à présent les principaux concepts directement liés au salarié en tant qu’individu pour mettre en exergue ses tactiques et stratégies d’adhésion ou de résistance pour conclure que le salarié était un inventeur de manières de faire. C’est cet « art de faire » du salarié dans le changement organisationnel que nous allons voir dans ce cinquième chapitre ; précisément quels jeux, tactiques et stratégies, tours, détours et contours il adopte pour assouvir ses besoins et ses aspirations. A partir de là, nous serons fins prêts pour élaborer un guide pratico-pratique, immédiatement applicable par le responsable du changement pour bien conduire et réussir le changement. Ce sera l’objet de la troisième et dernière partie de ce dossier.


L'usage de manières de faire : la quintessence du changement


Changement personnel ISRI - photo personne sur un échiquierDEUXIÈME PARTIE : CHAPITRE 5 sur 5

L’USAGE DE MANIÈRES DE FAIRE : LA QUINTESSENCE DU CHANGEMENT

Réseaux Sociaux partage ISRI FRANCE FlècheL’usage de manières de faire : la quintessence du changement

Si la présentation de soi suggère des manières de faire consistant en des manières de se présenter alors user de présentations de soi doit pouvoir révéler l’existence d’une logique de penser propre au salarié constitutive de ses intentions.

Ainsi, l’usage renvoie à l’utilisation des configurations (à travers diverses manières de faire, de penser, d’être, …) ; autrement dit, des manières de se présenter, se représenter et autres comportements et attitudes (afficher une apparence, investir physiquement les lieux, mettre en scène une identité positive, constituer un réseau de solidarité, …) C’est à partir des représentations du salarié-usager que nous pouvons repérer cet usage.

Pour le dire autrement, l’interprétation des représentations des configurations et les rôles endossés pour interagir doivent être complétés par l’interprétation de ce que le salarié « fabrique », « bricole », « braconne » pendant ces interactions.

En clair, après avoir montré l’existence de présentations de soi spécifiques aux circonstances du quotidien de l’organisation, il va s’agir d’aborder maintenant en quoi l’individu-salarié peut en « détourner » la logique pour son propre compte. Trouver le sens intentionnel de ces manières de faire nous conduit à mettre son changement au cœur de ces mécanismes.

Certeau dans « l’invention du quotidien » pose l’existence de deux mondes, celui de la PRODUCTION et celui de la CONSOMMATION ou des usages perçues comme des pratiques inventives et créatives, qui participent de l’invention du quotidien(1)Certeau, M. (de), L’invention…, op. cit., p.XXXVIII et suiv..

Il conçoit la consommation comme une « fabrication », une « poïétique » rusée, dispersée, silencieuse, quasi invisible qui s’oppose ou négocie avec le monde de la production dominante. Il cherche « à se placer dans la perspective de l’énonciation [qui] met en jeu une appropriation [,] instaure un présent relatif à un moment et à un lieu [et] pose un contrat avec l’autre (l’interlocuteur) dans un réseau de places et de relations. »(2)Certeau, ib., p.38-39.

A partir de nos missions dans les entreprises, nous avons découvert les modalités de ces quatre caractéristiques de l’usage (se placer, s’approprier, s’inscrire dans des relations et se situer dans le temps) ; ce qui va nous permettre de comprendre le changement à partir des opérations bricoleuses (usages) qui se construisent et se soustraient aux règles imposées et à l’influence des configurations.1) « Se faire une place »

1) L'espace : un lieu pratiqué

Réseaux Sociaux partage ISRI FRANCE Flèche1) L’espace : un lieu pratiqué

« L’espace est un lieu pratiqué »(3)Certeau, M. (de), l’invention…, op. cit., p.173. souligne Michel de Certeau, en associant la stabilité au lieu et la mobilité à l’espace.

Dans la configuration, le salarié exprime sa personnalité professionnelles et personnelle, il élabore sa vision du changement organisationnel, puis l’élargit au travers de prises de responsabilités en agissant (participation, investissement, rebellion, résistance…), par exemple ou en agissant pas ; ce dernier point étant, tout de même, une action.

Son expérience du lieu s’affine avec ses mois de participation pour finir par coller à la réalité du projet, à l’espace. Pour lui, cette expérience constitue des repères indispensables à l’aménagement de ses participations (ou résistances) et par là de ses manières de faire (se présenter, d’être, …), à fortiori pour celui qui est en ruptures avec le changement organisationnel et, à fortiori, s’il manquait déjà de repères par ailleurs, socialement ou filialement, par exemple.

Ce qui suggère l’appropriation de l’espace dans lequel il va (ré)inventer ses participations comme un remède à ses ruptures. Le rôle de l’imaginaire (une idéalisation, par exemple découlant de ses propres représentations est ici important.

2) S'approprier l'espace : une manière de faire individuelle

Réseaux Sociaux partage ISRI FRANCE Flèche2) S’approprier l’espace : une manière de faire individuelle

Ces attitudes d’appropriation de l’espace sont constitutives d’un espace personnel élargi au sein de l’organisation. Ainsi, il peut exprimer sa personnalité, s’approprier l’espace configurationnel de l’entreprise.

La question de l’usage de l’espace revient à saisir ce que celui-ci représente pour le salarié. Notre réflexion précédente avance l’hypothèse que les salariés s’engagent avec la perspective de réussir (leurs besoins-aspirations personnels mais aussi le changement organisationnel) rendant alors acceptables les efforts produits (l’usage de présentations de soi et autres manières de faire) et le risque de ne pas réussir.

Dans cette perspective nous déterminons une réciprocité : il n’y a pas de manières de faire sans l’existence de cet espace récipiendaire qui fonctionne comme polarisation et cadre préparateur aux changements.

A partir de là, la question à laquelle il nous est donné de répondre est : comment l’appropriation de cet espace(4)Plus précisément de ce lieu en tant que non-lieu qu’est finalement la configuration. par un espace personnel élargi peut-il être l’enjeu de ce qui est rendu visible (la manière de faire, de se présenter, etc.) ainsi que le souligne Certeau dans « L’invention du quotidien« (5)« L’écart entre les usages inventés et ceux constatés en posant l’existence de deux mondes, celui de la production, et de l’autre celui de la consommation ou des usages, perçus comme des pratiques inventives et créatives ». Certeau, M. (de), L’invention…, op. cit. ?

3) S'inscrire dans une relation : stratégies et tactiques

Réseaux Sociaux partage ISRI FRANCE Flèche3) S’inscrire dans des relations : stratégies et tactiques

En fait, l’appropriation de cet espace autorise le salarié à jouer des configurations selon des possibles de profits. Précisément, il transforme non seulement ses relations par rapport à ce qu’il a vécu, mais également ses présentations de soi ; il se place autrement face au projet de changement organisationnel pour devenir auteur, inventeur, créateur.

L’appropriation de l’espace se situe donc dans une sorte de mise en usage de cet espace pour espérer réaliser ses besoins-aspirations. Les usages constitués à l’intérieur des interactions prennent place et produisent des manières de faire que le salarié mobilise (présentation de soi, par exemple) lorsqu’il est en contact avec une configuration.

En clair, la configuration de l’organisation(6)(ou du changement organisationnel, ou de toute autre groupe comme le service, l’équipe, etc.) offre un cadre interrelationnel ; son usage permet son existence en tant que cadre favorisant les changements ; et les manières de faire l’optimisent par les changements mêmes. Pour ce faire, le salarié investit dans la configuration selon deux types d’opérations : les stratégies et les tactiques.

Avant d’aller plus loin, le lecteur aura tout avantage de lire ou relire l’article ISRI précédemment paru sur les manières de faire du salarié :

Changement personnel ISRI - Photo Echiquier
Le salarié dans son entreprise, un inventeur de manières de faire


Les stratégies

Changement personnel ISRI - Photo Echiquier TactiqueLorsque le salarié s’approprie (s’empare, use) l’espace par une présentation de soi (par exemple : participations, engagements, comportements…) il calcule les rapports de forces en jeux pour s’en servir de base à une gestion de celle-ci dans ses relations. Il joue, il ruse, il détourne la configuration et par là, les jeux, les ruses, les détournements des autres selon, par exemple, un style propre.

Dans cette logique du jeu de la ruse, du détournement, s’installe un rapport de dépendance entre ce calcul et cette gestion en même temps qu’elle dégage une marge de liberté ; en l’occurrence, le choix du style à employer.

Il va user ainsi de manières spécifiques de se présenter, appropriées à la circonstance, tirées de ses intentions et qui révèlent un lieu circonscrit comme un propre (Certeau).

Ce lieu propre est le lieu de ses intentions. Quand un salarié choisit une stratégie, ses jeux lui sont directement associés par un ensemble de résultats qui restent possibles compte tenu de toutes les stratégies dont disposent les autres salariés. Ainsi, il déploiera tous ses efforts pour réaliser ses motivations, ses besoins-aspirations, lui permettant de se distancer de ses ruptures, voire les cicatriser.

Son intention (que nous traduirons, ici, comme un but à réaliser) sera, dès lors, de veiller à réduire les éventuelles tensions au sein de son groupe ou, au contraire, les amplifier selon la finalité recherchée. Il donne un sens à ses intentions.

Cet usage de manières de faire, ses stratégies, autorise un degré de sécurité relatif à chacune d’entre-elles. Il s’intéressera alors à celles qui lui assurent le résultat le meilleur. Il s’assure ainsi et autant qu’il le peut contre le pire pour lui ; c’est-à-dire contre une contradiction des autres au sein de son groupe ou, plus largement, de l’organisation toute entière.

Pour y parvenir, il définit préalablement (consciemment ou pas) un point d’équilibre entre les meilleures réponses à la configuration. En résumé, le salarié s’approprie, se réapproprie, s’adapte, ruse, joue, détourne constamment. Bref, il change continuellement à l’endroit ou à l’encontre du changement organisationnel.

Les tactiques

Changement personnel ISRI - Photo TactiqueLorsque le salarié exploite (s’empare, use) de la configuration dans une situation relationnelle immédiate, ou lorsqu’il n’a pas le choix, il va chercher soit à tirer profit des forces existantes en leur temps opportun, soit les laisser jouer à son profit par des manières de se présenter, immédiates et circonstancielles. Il saisit ainsi l’occasion selon un art de faire des coups, une tactique qui signifie l’absence de propre (Certeau).

Les tactiques du salarié tentent ainsi de répondre aux besoins et aux préoccupations personnelles de l’heure mais restent relatives aux possibilités offertes par les circonstances et n’obéit pas à la loi du lieu, de la configuration, de la contingence. Elle est manipulation (forme d’usage) de l’espace dans l’immédiateté.

Autrement dit, le salarié fait preuve de créativité et d’invention en produisant des coups instantanés dans ses présentations de soi pour déjouer le jeu des autres. C’est ici que s’éveille son potentiel !

Certeau précise comment, devant les multiples détails de la vie quotidienne, les tactiques, engendrent une activité débordante : « il y a mille façons de jouer et de déjouer le jeu de l’autre, c’est-à-dire l’espace constitué par d’autres et qui caractérisent l’activité tenace, subtile, résistante, de groupes qui, faute d’avoir un propre, doivent se débrouiller dans un réseau de forces et de représentations établies. »

Un exemple de stratégie incluant des tactiques

Changement personnel ISRI - Photo Exemple TactiqueAinsi que nous venons de le souligner, le salarié trouve des façons de faire, des moyens de déjouer ou de composer avec la configuration pour arriver à ses fins.

Ce qui transparaît de nos missions sur le terrain c’est la capacité du salarié à personnaliser les usages de ses fonctions à des fins qui lui semblent le plus profitable, indépendamment du dessein initial de l’objet, c’est-à-dire indépendamment du but pour lequel il est à son poste.

En fait, il s’agit ici de choix, de sélections (de détournement stratégique) dans la gamme des possibilités offertes par l’organisation, pour tenter de répondre aux besoins et aspirations personnelles.

Ainsi, le salarié s’approprie un espace qui lui permet, en tant qu’usager, de jouer sur l’objet de sa fonction et, plus largement, de l’organisation ou de son groupe (équipe, bureau, service, agence…), tout en se passant des codes imposés par ces derniers (le corps de métier, par exemple), ou en tenant compte uniquement de ceux d’entre eux qui lui sont utiles dans la réalisation de ses propres objectifs. Ce que nous résumons par le tableau suivant :

Usage de la configuration
par les salariés
Configuration
(objet / mission)
Configuration
(étiquette)
Salarié
(besoins-aspirations équivalents
à ceux de la configuration
)
Salarié actif utilisation par les salariés
en tant que fin en soi
Salarié
(besoins-aspirations différents
de ceux de la configuration
)
Salarié actif si intérêt
sinon inactif
Utilisation par les salariés
en tant qu’outil


Ainsi, les salariés détournent parfois les outils, les utilisent à leur manière, avec leur logique, une logique de la ruse. Cette logique, « qui composent, à la limite, le réseau d’une antidiscipline », subvertie, du dedans pour en faire autre chose. « Alors, seulement on peut apprécier l’écart ou la similitude entre la production de l’image et la production secondaire qui se cache dans les procès de son utilisation. »(7)Certeau, M. (de), L’invention…, op. cit., p.XXXVIII. Leur mode d’emploi, se manifestant avec suffisamment de récurrence, correspond à des intentions, des préméditations.

En somme, face aux modes d’emplois prescrits par l’organisation, les salariés tendent à proposer des détournements de l’outil, des déviances de l’objet et des variantes de la mission, pour changer. Le sens donné à cet usage de l’organisation fait référence aux représentations et aux valeurs qui s’investissent dans l’usage de manières de faire.

4) Se situer dans le temps

Réseaux Sociaux partage ISRI FRANCE Flèche4) Se situer dans le temps

En fait, nous venons d’interpréter les usages en fonction des moments d’investigations que les salariés privilégient (appropriation par des stratégies, formation des usages et inventivité par des tactiques).

Pour résumer, les stratégies des salariés (déterminant un propre) sont une « victoire du lieu sur le temps »(8)Certeau, M. (de), L’invention…, ib., p.XLVII.. En effet, elles servent de base à une gestion de leurs relations ; c’est-à-dire, sont un véritable terreau de capitalisation des avantages permettant leur réutilisation.

Alors que la tactique dépend du temps parce qu’elle est immédiateté. Ce qu’elle gagne, elle ne le garde pas. Le salarié use de l’occasion.

La fréquence d’usage de tactiques et stratégies dans le temps nous permet de circonscrire les données sur les changements. Nous avons relevé sur le terrain qu’elles pouvaient être déstabilisées puis recomposées sous d’autres formes conduisant à une plus grande planification du temps. Ainsi, nous pouvons rendre-compte de la façon dont les salariés usent des configurations dans des temporalités spécifiques aux manières de faire.

Tours et détours : contours du changement

Tours et détours : contours du changement

Changement personnel ISRI- Photo Faire le pointRésumons-nous. La configuration en tant qu’offreuse de règles (c’est-à-dire une sorte de conditionnement, même si elle peut être mutuellement construite entre les salaréis au sein d’un groupe) conditionne le salarié selon une marge de liberté qui lui reste propre : ses intentions.

Les interactions entre l’offre et son utilisation (tactiques et stratégies) renvoient aux représentations (par exemples, sa dimension symbolique, les différentes images développées) du salarié.

La figure de celui-ci, rusé, subtil, bricoleur, capable de créer ses propres usages, apparaît comme celle d’un individu actif de son changement. Ses manières de se présenter (comportements, attitudes, …) répondent aux propositions de la configuration dans l’intention de se l’approprier et par là se donner quelques chances de réaliser ses besoins-aspirations.

Toutefois, la marge de manœuvre de ses manières de faire est limitée à la zone définie par toutes les manières de faire des autres salariés, réduisant sa marge de liberté et de pouvoir dont il est détenteur à un moment.

Autrement dit, l’appropriation de l’espace de la configuration permet de la comprendre comme un processus de création de sens, dans et par l’usage, dans toute sa dimension sociale. L’usage a ainsi une épaisseur socioprofessionnelle.

Dans cette perspective, l’usage fait partie intégrante des manières de se présenter et autres manières de faire, il vient s’y intégrer en même temps qu’il les transforme et transforme, simultanément, l’état du salarié ; c’est-à-dire, caractérise son changement.

Prenons un exemple. Nous avons parlé, plus haut, de style vu en tant que manière de se présenter ; l’interpréter, c’est interpréter un salarié qui a trouvé sa manière de dire(9)Ce qui nous amène, à énoncer une définition du style, celle de Greimas : « Le style spécifie « une structure linguistique qui manifeste sur le plan symbolique (…) la manière d’être au monde fondamentale d’un homme » » (Greimas, Aljirdas-Julien, Linguistique statistique et linguistique structurale in Le Français moderne, 1962, p.245). par une expressivité propre (manière de faire). C’est un art de faire, un savoir-faire pour comprendre, se distancer, faire le point, exister, se reconnaître, acquérir une identité, échanger, travailler sur soi, donner à être écouté, élaborer une pensée, évoluer, se dégager, se transformer voire se transcender, se sublimer et par là-même changer.

En effet, lorsque cette expressivité est authentique et tombe juste, son expression par une présentation de soi spécifique devient prégnante et porteuse pour le salarié ; il change en ce sens qu’il œuvre pour réaliser ses besoins-aspirations. Certeau parlait déjà d’une esthétique du savoir par un savoir-faire(10)« Le « retour » de ces pratiques dans la narration […] se rattache à un phénomène plus large, et historiquement moins déterminé, qu’on pourrait désigner comme une esthétisation du savoir impliqué par le savoir-faire », Certeau, M. (de), L’invention…, op. cit., p.110..

Ainsi, le style représente l’espace de ce que le salarié éprouve par rapport à ce qui est ou qui doit être à un moment donné. Les bénéfices sont donc tant au plan du savoir personnel que de la personne même. Il n’est plus tout à fait le même qu’avant, il évolue, il change en jouant de la configuration.

Ce qu’il est intéressant de voir finalement c’est que le salarié développe une créativité immédiate ou réfléchie (tactique ou stratégie) pour s’adapter aux situations et arriver à ses fins, répondre à ses attentes. Ce sont des temps d’ouverture à une socialisation (avec l’autre), porteuse d’autodidaxie (expérience-connaissance).

La façon d’utiliser la configuration est au fond tributaire de la façon d’user de manières de faire en tant que processus de socialisation propre à chaque salarié ; elles-même tributaire des différentes histoires et des règles propres des configurations à la fois modelées et modelantes. Si l’on considère qu’il peut trouver là une distance avec ses ruptures alors il change profondément, intérieurement, intrinsèquement.

Par cette autodidaxie, il acquiert de nouvelles manières de penser et d’agir selon un espace-temps de transition plus ou moins long : son espace personnel élargi. Elle constitue donc un mode d’apprentissage qu’il anime comme une ressource en quelque sorte dès qu’il est, par exemple, contraint d’inventer des solutions inédites à un problème particulier. Son changement nous est par là rendu intelligible.

La part de l'autre

La part de l’autre

Nous sommes arrivé au point de pouvoir rassembler un certain nombre d’éléments et sceller notre dossier pour souligner avec force un autre sens : la part de l’autre dans le changement.

A retenir ISRICe que nous avons interprété là est de l’ordre d’une mutation de fond individuelle, d’une singularité même si elle n’échappe pas à une certaine régularité ou peut être comprise par une loi. Sachant que l’expérience se soutient de généralités, de lois, qu’elle dépasse l’un pour toucher l’ensemble.

Dans nos exemples, il peut y avoir une sorte de ressemblance mais pas d’identité ; l’expérience (et son énonciation, usage de l’expérience, manière de faire) reste une singularité. C’est à partir d’elle que le salarié invente !

Bref, les manières de faire montrent un rapport intersubjectif en actes mais une singularité de l’expérience ; une similitude avec le changement organisationnel mais une multiplicité de coups joués singuliers. Une singularité qu’il nous faut donc entendre comme une construction par la pluralité. Ce qui témoigne de l’inscription du salarié dans un contexte socioprofessionnel configurationnel indispensable à la préparation de son changement.

Pour le salarié user de manières de faire revient donc à s’engager de manière singulière dans une pluralité de manières de faire. En effet, lors de nos missions, dans les énoncés, comme dans leurs énonciations, cela se marque par un « je » qui s’assume comme auteur propre et singulier.

Entre l’énoncé et l’énonciation, un lien. Ce lien est l’usage de manières de faire qui désigne la place que va occuper le salarié et où le singulier touche au général.

Cette place, outre le fait qu’elle soit au centre de sa construction, a la particularité de rencontrer un autre (un autre je) qui peut s’y reconnaître. Dans ce cas, le salarié a comme but de faire partager son expérience, c’est-à-dire de l’agir et de l’éprouvé. Il appelle ainsi « l’autre » pour le partager, l’évaluer (il joue un coup) et par là lui permet d’évoluer, de changer intérieurement. L’attitude de l’autre touche alors à des réactions d’empathie, de sympathie, d’antipathie (le coup précédent appelle un contre-coup) qui sont des modes de connaissances de la relation avec les autres.

Dans ses manières de se présenter, de se représenter la configuration amène à des manières de penser, d’agir. Ainsi, le salarié s’interroge, rend visible ses doutes et arrive immanquablement aux problèmes d’éthique. Il n’y a d’éthique que parce qu’il y a de l’autre. Chacun est à la recherche des gestes justes (tout du moins, qu’il croit justes), qui donnent de la dignité à ses actions, conduit finalement à la construction d’un ethos (Scheler).

Participer à cette construction le transforme parce-qu’elle est l’amorce d’une responsabilité qui reconstruit, à son tour, quelque chose de lui-même et de ses choix. L’usage de manières de faire épouse donc les situations communes par une singularité en même temps qu’il épouse la singularité des situations dans le commun.

Mais pour s’autoriser à changer de la sorte, un risque est à prendre car ce qui surgit dans l’interaction entre lui et les autres est sa subjectivité qu’il ne peut exclure. En ce sens, user de manières de faire correspond à un mode de restitution de ses sentiments : passions, amour, haine, rejet, masochisme. L’autre n’est plus alors seulement l’objet d’un regard extérieur, il est un confident.

Ainsi, l’usage de manières de faire prend la place des manières de faire même et marque ce que le salarié cherche à présenter. En effet, il se comporte, par exemple, de manière à gagner la sympathie des autres ! Son comportement moral tient compte du jugement de l’autre pour obtenir une appartenance, tout du moins, un allié dans le regard de l’autre.

Son identité est en train de revivre à nouveau (ou bien une nouvelle est en train de naître) par sa volonté personnelle (il change). Nous irons jusqu’à dire : au-delà des participations ou des fonctions mêmes, cette volonté est réaménagée pour que ses situations (les étiquettes allouées par sa fonction, son métier, l’organisation…) ne soient pas une charge pour lui. En fait, il se prépare à un changement continuellement et incessamment renouvelé dans une configuration qui structure ses manières de faire.

En effet, celle-ci est l’organisatrice des actions produites par les manières de faire. Elle vise à produire du contact, à former de nouveau micro-groupes, souvent informels, tels que « le clan des POUR » ou celui des opposants.

Ainsi, les projets sont moins des idées à développer que des idées à créer du lien social où les manières de faire témoignent d’un désir de réduire des ruptures ressenties, notamment avec « l’avant changement », de réaliser des besoins-aspirations. Leur usage élabore de nouvelles formes d’échanges socioprofessionnels.

Conclusion : l'art et la manière

Conclusion : L’art et la manière

A retenir ISRIEn somme, l’usage de manière de faire est une tension entre des aspirations et les craintes que celles-ci suscitent en même temps que cette tension est indispensable au changement individuel dans un cadre configurationnel de changement organisationnel.

Finalement, dans ce deuxième chapitre sur 2, nous venons de caractériser les séquences et les procédures qui marquent un changement d’état pour le salarié au travers de l’usage de manières de faire qu’il fabrique.

De la sorte, il s’approprie une place dans les configurations (un propre dans lequel il joue en stratège et tacticien) à partir de laquelle il va pouvoir dire les choses ; c’est-à-dire user de manières de se présenter (de dire, d’être, …).

Cette place a donc un sens, du sens. Un sens parce-qu’elle constitue l’espace personnel nécessaire à sa participation ; du sens parce-qu’elle est l’espace (au sens certausien du terme, c’est-à-dire un lieu pratiqué) à partir duquel il va jouer, ruser, fabriquer, détourner, bricoler, investir sa présentation de soi, ses manières de faire, d’être, d’agir, de penser.

Le salarié changeant est, en conclusion, la figure exemplaire qu’impose l’invention d’équivalences de codes, la réorganisation des systèmes. Il montre qu’il est possible de se déplacer entre le passé et le présent pour l’espérance d’un avenir, d’un devenir, qu’il peut inventer d’autres images de référence, dont l’ensemble finit par donner forme à une nouvelle représentation de soi et en jouer, en user pour répondre à ses attentes et par là se préparer à changer, puis changer et finalement changer continuellement.

De cette créativité naissent ses engagements, il change en même temps qu’il s’affirme comme un individu par rapport aux autres.

En fait, le salarié est un joueur ; sa salle de jeu est un théâtre où la dépendance des relations donne une idée de similitude et de réciprocité mais aussi de complémentarité entre sa singularité, son je et la pluralité des autres je.

Cela l’amène à user de tactiques et de stratégies dans lesquelles il fait preuve de créativité pour chercher le meilleur résultat, en même temps qu’il définit un point d’équilibre dans ses relations. Son acte (l’usage) est singulier, son action (la manière de faire) est la preuve visible de ses changements en cours.

Ainsi, le salarié est un individu pluriel changeant qui ne peut pas être pensé comme Robinson Crusœ mais dans une pluralité d’individus changeants, une configuration.

Ainsi, les relations interpersonnelles et les interactions révèlent la fabrication de l’espace, sorte d’entre-deux, bâtie autour de l’usage de manières de se présenter et qui portent les traces de la configuration dans laquelle les participations prennent place pour répondre aux attentes (du changement organisationnel, par exemple) et par là permettre le changement du salarié.

Cet usage participe à la construction et au renforcement d’une ambiance, qui fut si souvent énoncée par les salariés interviewés lors de nos missions, et par extension, au renforcement d’une identité groupale.

En résumé, comprendre les raisons du processus de changement personnel du salarié DANS le changement organisationnel c’est rendre compte des dynamiques relationnelles qui caractérisent les rapports. Ainsi, nous avons pu rendre visibles quelques matériaux participants du phénomène observé. Ainsi, nous avons pu décoder les schèmes opératoires réalisés par les salariés. En clair, nous avons repéré cinq mécanismes fondamentaux des manières de faire et de leurs usages :

  • une recherche de satisfaction des besoins-aspirations pour transformer les ruptures en mieux-être,
  • une mobilisation des représentations pour les utiliser dans les différents contextes où ils risquent d’en avoir besoin,
  • des présentations de soi adaptées pour s’intégrer dans une configuration,
  • des stratégies singulières pour interagir,
  • des tactiques individuelles pour acquérir ou conserver sa place.

Lorsqu’une configuration favorise ces manières de faire, les salariés usent de tactiques et de stratégies et se trouvent motivés par leur relations. Ils deviennent acteurs de leur changement et participent !

Alors GARE A CELUI QUI N’EN TIENT PAS COMPTE !
Car, le potentiel humain est la seule richesse permettant d’optimiser le changement organisationnel, sinon c’est l’éviction par la concurrence !


Dans la troisième partie de ce dossier, nous tiendrons compte de ce que nous venons d’exposer afin d’en extraire un guide opérationnel permettant de conduire et réussir le changement.

Pour en savoir +

Notes de l`article   [ + ]

Oct 222013
 

Le changement :
Voici un exemple pour comprendre les malentendus

Changement ISRI - Exemple malentendu Face à FaceDes commerciaux qui ne vendent pas, des administratifs qui fustigent les techniques de vente en place, un patron décontenancé : de telles situations sont souvent attribuées à des individus défaillants ou fautifs. En réalité, les acteurs définissent personnellement les différentes situations vécues, ce qui produit malentendus et incompréhensions. Cette petite histoire est révélatrice de ces situations lorsqu’il faut mener un changement.

 

Le contexte

Le contexte

Il y a quelques années, un client pour lequel nous avions déjà effectué une aide au recrutement, nous proposait une mission fort inhabituelle : retrouver les gens de son entreprise.

Le téléphone avait alors failli tomber des mains de ma collaboratrice ! Un silence s’ensuivit.

Puis, elle finit par bafouiller : « Retrouver les gens de votre entreprise ? » et, toujours sous le choc de la surprise : « mais où sont donc passés tous les collaborateurs recrutés ? ».

A son tour, son interlocuteur demeura silencieux quelques instants avant de reprendre d’une voix anxieuse : « s’il vous plaît, retrouvez les gens de mon entreprise ! », et avant de raccrocher, l’homme avait suggéré une piste de réflexion : l’incendie de Mann Gulch dans le Montana en 1949, nous indiquant que, si les faits n’étaient pas très récents (1949, tout de même !), ils constituaient, toutefois, un point de départ permettant de comprendre sa propre situation. Il nous recontacterait lorsqu’il aura pu rendre plus cohérente sa demande car il se disait émotionnellement déstabilisé…

De nature curieuse, l’équipe ISRI s’est mobilisée pour exploiter le tuyau : , 10 soldats du feu étaient morts ! Que s’était-il passé ce jour-là ? Notre (en)quête commençait…

, dans son ouvrage «  » rapporte que le romancier Norman Maclean était sur les lieux alors que le feu brûlait encore. Il en tira, quatorze ans plus tard un récit romancé . En 1993 , psychosociologue, publia, à partir du roman de Maclean, une analyse de ce drame.(1)K.E. Weick, « The collapse of sensemaking in organizations : The Mann Gulch disaster », Administrative Science Quaterly, vol.XXXVIII, n°4, décembre 1993, traduction française in Bénédict Vidaillet (coord.), Le sens de l’action. Karl Weick : sociopsychologie de l’organisation, Vuibert, 2003

Changement ISRI - Exemple malentendu Femme sourdeSans entrer dans le magistral décorticage de K. Weick, nous dirons que ses conclusions pointent la perte de sens de l’action collective (autrement dit, la désobéissance) imputables aux et non argumentés du commandement, et à l’absence de leur relai par le chef de peloton.

Cependant, une analyse du système cognitif fait ressortir une absence de partage d’une définition commune de la situation entre le commandement, expérimenté, et l’équipe sur le terrain, inexpérimenté au moment où les décisions d’urgence ont été prises ; alors qu’au départ de la mission, tous les acteurs partagent la même définition de la mission et se sont mis en place selon une stratégie et des comportements appropriés.

En fait, tout a basculé au moment du dramatique malentendu dû au vent qui s’était levé ! Ce changement brusque du contexte (le vent s’est levé) a induit des redéfinitions de la situation par les acteurs et des modifications des principes d’action bouleversant les hiérarchies et les symboles, car les nouveaux ordres rapides (et pourtant, salutaires s’ils avaient été exécutés : « abandonnez votre matériel de feu et grimpez en haut de la colline ») n’étaient pas explicités. En conséquence, les pompiers sur le terrain les ont interprétés comme un acte de panique de la part du commandement car à l’aune de leur formation récente on n’abandonne pas son matériel ! Ils donc.

Réseaux Sociaux partage ISRI FRANCE FlècheRevenons maintenant à notre client. Quelques jours après le premier entretien téléphonique, il rappelle et nous propose un rendez-vous. Pour faire succinct, il dirigeait une société ayant mis au point un système orignal et révolutionnaire de lutte contre la contrefaçon. En lien étroit avec les Douanes et Interpol, il avait démarché par cooptation les grandes industries du luxe, du médicament, du funéraire et de la pièce automobile sans véritable succès.

Alors, notre client a voulu mettre sur pied une équipe de commerciaux dont la mission consistait à visiter les prospects pour leurs apporter des compléments d’informations sur les documents envoyés par publipostage et e-mailing par le service administratif, puis leur faire signer un contrat, le cas échéant.

Tout comme , tout semblait organisé pour que ça fonctionne : les procédures et autres techniques de prospection étaient extrêmement bien cogitées, les différents acteurs étaient motivés !

Alors, que se passait-il ? Pourquoi les commerciaux démissionnaient et les salariés des autres services étaient démotivés ? Pourquoi n’y avait-il pas de vente ?

Il ne s’agissait pas du prix, il était très compétitif. Il ne s’agissait pas du système, il était facile à mettre en œuvre. Il ne s’agissait pas de la probité et de l’intégrité de la force de vente, chaque commercial était diplômé d’une haute école de commerce, prêtaient serment de confidentialité et de secret professionnel, et suivait, dès leur embauche, une formation interne de 3 semaines incluant des techniques de Programmation NeuroLinguistique (PNL) pour apprendre à contourner les questions pouvant mettre en péril le secret professionnel. Il ne s’agissait pas du service administratif ou de celui de la conception/maintenance du système, chaque collaborateur avait été recruté par un staff de deux psychologues et un sociologue et ils donnaient entière satisfaction, dans leur travail, d’un point de vu technique.

En fait, comme dans l’incendie du Montana, notre client n’avait pas saisi, dans l’organisation de sa prospection, que les définitions des situations quotidiennes étaient reconstruites inconsciemment et indépendamment par chaque acteurs selon un «  » en trois notions :

  • le cercle,
  • la communautés de justice et
  • l’échelle.
Le feuilletage organisationnel

Le feuilletage organisationnel

1. Le cercle

L’organisation de la société de notre client permettait de définir la situation de manière cohérente dès lors qu’elle restait à l’intérieur du groupe social auquel les acteurs estimaient appartenir. Ici, le cercle est celui des commerciaux (les pompiers sur le terrain, dans l’exemple de l’incendie du Montana) qui se reconnaissaient car ils partageaient la même formation interne et une même mission : vendre le système de lutte contre la contrefaçon.

Les commerciaux se considéraient comme de véritables seigneurs de la vente, non comme des « preneurs d’ordres » ou des « publicitaires » (les pompiers, en quittant leur équipement de feu auraient eu l’impression d’être de vulgaires touristes en fuite).

Ainsi, affichaient-ils des critères permettant de se reconnaître en tant que membres du cercle des commerciaux et rejeter les autres, en l’occurrence, l’administratif et le service conception/maintenance du système, à leur yeux, non viables sans eux.

NB : le lecteur peut relire l’article ISRI traitant de  : Changement personnel - Photo Rubiks cubeLe changement #2 : Comprendre le changement personnel (Chapitre 1 : Qu’est-ce qui fait changer ?)

2. La communauté de justice

La , en général, et celle du juste ou de l’injuste, en particulier, permettent de révéler les principes communs au sein d’un cercle. Ce qui est juste pour un cercle ne l’est pas forcément pour un autre, voire totalement injuste, perfide ou méprisable.

Ainsi, comme les pompiers de l’incendie de Mann Gulch, les commerciaux ne peuvent désobéir à la règle constitutive des principes de leur cercle professionnel : ils ne peuvent être de simples preneurs d’ordres ! Il ne peuvent contredire leurs valeurs apprises et transmises par leurs formations et leur corps de métier ! Ce serait, pour eux, un désaveux, une désobligeance, une indignité !

3. L’échelle

A cet égard des valeurs, les principes de justice autorisent le ‘cercle commercial’ à s’attribuer des positions d’importance, de pouvoir, de prestige voire d’influence : c’est grâce à eux que les autres services, improductifs à leurs yeux, peuvent exister !

L’échelle des commerciaux distingue ainsi les ‘exclus’ des ‘membres’, les ‘non-productifs’ des ‘productifs’, les ‘inutiles’ des ‘utiles’, etc. Ainsi, les cercles administratifs et conception/maintenance étaient-ils dévalorisés par les commerciaux.

C’est donc la PERCEPTION des membres d’un cercle qui attribue ses valeurs et celles des autres !

Alors, que faire de notre compréhension de ce feuilletage ?

Maintenant que nous avons mis en exergue ces trois notions de cercle, de communauté de justice et d’échelle, nous voilà bien avancé !

Eh oui, la question de fond demeure : pourquoi les gens de cette entreprise disparaissaient ? Alors posons-nous des questions intermédiaires pour trouver des pistes de solution,  :

  • pourquoi les commerciaux n’arrivent pas à faire signer des contrats ?
  • quelle influence a la qualité managériale sur l’organisation ?
  • quelle influence organisationnelle existe-t-il sur « l’illusion gestionnaire » existante ?
Un peu de psychologie pour analyser

Un peu de psychologie pour analyser :

Rappelons que le produit est excellent, d’un prix correspondant au marché, facile à mettre en œuvre, fiable et que les procédures commerciales, tant par courrier, courriel que par visite in situ, sont rodées et exercées dans les règles de l’art (du moins d’un point de vu du process).

Il nous fallait donc rechercher ailleurs le problème. Or, il est un élément majeur, déterminant, auquel nous pensons rarement immédiatement : c’est l’humain ! Pourquoi ne pensons-nous pas immédiatement au facteur humain ? Parce que nous sommes souvent trop confiants et très aveuglés par les procédures automatiques et autres logiciels de gestion qui mécanisent et déshumanisent, à notre sens.

Ainsi, les trois éléments à repérer au cours de notre mission étaient-ils ceux du cercle, de la communauté de justice et de l’échelle du facteur humain, à partir d’une position observable afin que les définitions des situations se (re)construisent en interaction.

Il s’agissait bien, au delà des procédures, de formaliser les perceptions/interprétations et les modèles d’action de chacun des trois services commercial – administratif – conception/maintenance porteurs d’une définition particulière des situations.

Changement ISRI - Exemple malentendu MédiateurAinsi, la direction (notre client et ses trois chefs de service) pensait que le dysfonctionnement provenait des commerciaux qui, même s’ils ont prêté serment du respect du secret professionnel, ne respectent pas pour autant le travail du service administratif et dénigrent les campagnes publicitaires faites par publipostage et e-mailing.

En faisant décortiquer par les psychologues ISRI les «  » des commerciaux sur le terrain, nous avons observé que, systématiquement, le prospect parlait spontanément de la publicité reçue et qu’elle lui paraissait suffisamment claire, mais rétorquait immédiatement qu’il avait déjà un système de traçabilité en place.

Les commerciaux arrivaient donc après une campagne publicitaire, et la décision du client étant déjà (quasiment) prise (« non, puisqu’un système de traçabilité était déjà en place »), il y avait donc peu ou prou de chance que la vente se réalisât (la signature du contrat).

Pourtant, aucun des membres du service administratif, qui organise les campagnes publicitaires, et des membres du service commercial, étaient à même d’analyser l’existence de cette situation.

Ainsi, le cercle de commerciaux avait foi dans leur technique de vente considérant qu’elle était rendant impossible l’idée qu’ils ne puissent pas vendre.

Les administratifs, qui constituaient un autre cercle, étaient, eux, confrontés à l’absence de commande. Mais compte tenu que leur travail en amont était bien fait (les campagnes publicitaires [ce qui était vrai, ndlr]) ils ne considéraient pas les commerciaux comme des ‘seigneurs de la vente’ et les confortaient dans l’image de « beaux-parleurs fainéants » qu’ils avaient d’eux !

Le premier cercle diffuse un modèle de contact, de terrain, de relationnel pour lequel les techniques sont nécessairement sans faille. Le second cercle introduit un modèle organisationnel et technologique. En effet, ce modèle porte sur l’envoi de publicités et reste muet sur le relationnel à établir avec le prospect. Dès lors, les ‘administratifs’ ne s’estimaient pas engagés vis-à-vis des échecs des commerciaux, ces derniers étant jugés comme des « blablateurs ».

La rencontre de ces deux modèles produisait un aveuglement de l’organisation : ceux en charge des campagnes ne s’intéressaient pas à ceux qui ne vendaient pas sur le terrain. De plus, le modèle de contact, relationnel (premier cercle / les commerciaux) excluant leur faute grâce à leur formation de haut niveau, c’est donc aux administratifs qu’elle était exclusivement attribuée (alors que pour la Direction, ce sont les commerciaux les responsables, rappelons-le !).

En conséquence, les membres du service administratif se démotivaient et les commerciaux démissionnaient.

Un peu de théorie pour comprendre

Un peu de théorie pour comprendre :

A l’origine, ce que la direction qualifie de ‘dysfonctionnement’, on trouve, en fait, des malentendus qui proviennent du feuilletage organisationnel.

Mais pour , « la particularité des organisations est de produire en permanence des dispositifs faisant croire que les processus sont sous contrôle, que les règles sont appliquées, que les acteurs s’entendent sur ce qu’ils font, etc. Elles donnent l’illusion de la compréhension, d’un fonctionnement évident et lisse ».(2)Valérie BOUSSARD, Delphine MERCIER et Pierre TRIPIER, « L’aveuglement organisationnel », Les Grands Dossiers des Sciences Humaines n°12, p.42

A partir de cette réflexion de V. BOUSSARD, D. MERCIER et P. TRIPIER, il est aisé de comprendre l’opacité ambiante engendrée par les dispositifs de formalisation et de contrôle. Ainsi, les processus appliqués par le service administratif pour adresser les publicités généraient-ils une illusion d’organisation transparente au yeux de notre client / le patron de l’entreprise ! Il comptait tellement sur la normalisation des procédures de prospection et de vente et sur la certification des démarches (l’assermentation des commerciaux) que tout lui paraissait régulé et harmonieux.

Changement ISRI - Exemple malentendu AutrucheDe la même manière, notre client avait pensé un système de communication pour offrir un langage commun technique et sécuritaire dont les différents acteurs des trois services administratif, conception/maintenance et commercial pourraient utiliser pour se comprendre. Il fournissait ainsi l’illusion de piloter son entreprise en cohérence alors, qu’en fait, tous les dispositifs d’organisation ou de gestion masquaient la complexité des situations car il avait oublié quelque chose : le facteur humain !

En effet, le facteur humain ne peut pas être réduit à des normes, des règles et des certifications. En réalité, il est toujours en perpétuel mouvement, fluctuant, changeant dans des cercles en eux-mêmes au gré des paradigmes de l’engagement professionnel, de la valorisation de soi, de l’efficacité, du prestige, etc. qui sont interprétés différemment. Mais quand le feuilletage organisationnel fut révélé, l’illusion gestionnaire est tombée car elle ne pouvait plus dissimuler !

En conclusion

En conclusion

La solution a tout simplement consisté à retirer du service administratif le travail de campagnes publicitaires pour les intégrer à la force de vente. Une cohérence s’est alors naturellement instaurée puisque, dès lors, les envois de publicités incluaient et promotionnaient la visite du commercial. En conséquence, le prospect attendait le passage du commercial.

Facile, me direz-vous, puisque vous y aviez déjà pensé, n’est-ce pas ?

Avez-vous oublié l’introduction : « s’il vous plaît, retrouvez les gens de mon entreprise ! » ? Eh bien, voyez-vous, sans cette compréhension du feuilletage organisationnel grâce à l’exemple de l’incendie de Mann Gulch, ce n’était pas gagné au départ pour sauver cet entreprise, tellement les conflits étaient prégnants et l’hémorragie abondante !

L'auteur
Pour en savoir +
Changement ISRI - Incendie Montana« Montana, Mann Gulch (États-Unis), 5 août 1949 : une équipe de quinze parachutistes du feu saute sur un incendie de forêt qui a pris en bordure d’un ravin. Le commandant du peloton, convaincu qu’il s’agit d’une mission facile, s’isole et invite le garde à pied qui avait signalé l’incendie à partager son pique-nique. Il envoie ses subordonnés se répandre autour du ravin sans ordre précis. Peu après, le vent, jusque-là calme, se lève. La route et la rivière, considérées par chacun comme des obstacles au feu, deviennent inefficaces. Cependant, dans la conscience des acteurs, le caractère maîtrisable de l’incendie est fermement installé. Se rendant compte que l’incendie se répand autour du peloton qu’il a fait se placer en éventail au-dessus du ravin en feu, le commandant change de tactique. Il allume un contre-feu, qui permet de dégager une zone où l’incendie ne pourra pas progresser. Il ordonne à ses hommes de venir le rejoindre et de se coucher sur le sol encore brûlant, en direction du ravin. Le sous-commandant, voyant ses hommes qui escaladent la montagne bordant le ravin, leur crie de se débarrasser de leurs instruments de lutte contre l’incendie. Ainsi allégés, ils pourraient s’éloigner au plus vite vers les sommets des collines encore indemnes. Ayant reçu dans leu formation la consigne de faire corps avec leurs outils, cet ordre , non préparé, est proprement inaudible. il contrevient à tous les apprentissages. Les pompiers interprètent cet ordre comme un moment de panique du sous-commandant. Ils continuent à escalader la colline, lourdement chargés et, vite rattrapés par les flammes, dix d’entre eux périssent. »(3)Valérie Boussard, Delphine Mercier et Pierre Tripier, L’aveuglement organisationnel, Les Grands Dossiers des Sciences Humaines n°12, p.40
Changement ISRI - Frédéric de Coninckprofesseur de sociologie à l’École nationale des Ponts et Chaussées, Ingénieur Général Habilité à diriger les recherches depuis 1994 (en sociologie) Directeur de l’école doctorale ville et environnement de l’Université Paris Est (ED n° 448).
je-connais-ma-situation-mais-comment-agir
Frédéric de Coninck
Editions L’Harmattan
Collection : ‘Savoir, Savoir agir et Agir’
15 juil. 2009 – 125 pages

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l-aveuglement-organisationnelLe 5 août 1949, une équipe de quinze parachutistes du feu saute sur un incendie de forêt dans le Montana. Deux heures plus tard, dix d’entre eux sont morts. Ce qui s’est exactement passé ce jour-là à Mann Gulch a été obscurci par des années de chagrin et de controverse. Aujourd’hui un conteur magnifique confère enfin à l’incendie de Mann Gulch le statut de tragédie qui lui est dû. Norman Maclean se rendit pour la première fois sur les lieux du drame alors que le feu brûlait encore, et dès lors il sut qu’il ferait un jour partie de cette histoire. Il passa les quatorze dernières années de sa vie à essayer de comprendre. En dehors de son travail d’universitaire, Norman Maclean n’a écrit qu’un autre livre, un classique : La Rivière du sixième jour » adapté au cinéma par Robert Redford sous le titre « Et au milieu coule une rivière »
Changement ISRI - Karl WeickKarl Emmanuel Weick (né le 31 octobre 1936 à Varsovie, Indiana) est un universitaire américain, professeur de psychologie et professeur en sciences de l’organisation à la Ross School of Business de l’Université du Michigan. Il est considéré comme l’un des théoriciens les plus renommés mondialement de la théorie des organisations. L’objet de ses recherches porte sur l’élaboration du sens au sein des organisations. Son approche de l’organisation est processuelle, l’organisation se construisant, pour Weick, dans l’interaction. Cette perspective interactionniste se traduit par un glissement de définition de l’organisation (organization) vers le processus organisant (organizing). La majorité de ses études porte sur l’analyse de petites entités mais intègre de multiples dimensions à travers les concepts de sensemaking, d’enactment, d’identité, de structuration, de couplage, de lien entre la pensée et l’action.
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Interprétations de la situation par les pompiers
  • Rétrospectivement, les interprétations étaient défectueuses. D’avion, le copilote, un vieux de la vielle avec beaucoup d’expérience, avait affirmé que ce serait un travail facile : l’équipe devait venir à bout de l’incendie en quatre heures. Mais il était cinq heures du soir et le mois d’août 1949 avait été un des plus chauds depuis longtemps. Peu de temps après l’atterrissage des pompiers, le vent, jusque-là calme, se lève et les obstacles au développement du feu (une route, une rivière) ne sont plus efficaces à cause de la force du vent. On voit bien comment l’interprétation par quelqu’un qui a l’habitude, mais qui le fait trop tôt ou est trop loin, peut-être erroné. Mais, dans la conscience des acteurs, ce cadrage de la réalité était fermement installé.
  • le chef de peloton et le garde forestier, qui avait signalé l’incendie et attendait les pompiers sur place, déjeunent pendant quarante minutes alors que le reste du peloton se répand autour du ravin sans ordre précis. Les hommes en conclurent que le feu était peu dangereux.
  • Alors que le feu dans le ravin semblait s’intensifier, un des seuls membres expérimentés du peloton prenait des photographies du site, renforçant l’impression du caractère maîtrisable de l’incendie.

Ainsi, par des moyens directs ou contournés, la définition de la situation, son cadrage ou son interprétation, fut inadéquate ou erronée. les ordres donnés par les responsables n’allaient pas arranger les choses, car, d’une certaine façon, ils contrevenaient, sans aucune explication ne soit fournie, aux valeurs et aux logiques de leurs hommes.

Faire agir et agir soi-même

Le cadrage défectueux des pompiers et de la situation avait conduit, dans un premier temps, le responsable du peloton de pompiers, Dodge, à vouloir entourer l’incendie et l’attaquer de façon dispersée et convergente sur le ravin, donc à placer ses hommes en éventail au dessus du ravin en feu et avancer vers celui-ci. Cependant, lorsqu’il vit que l’incendie se répandait au-dessus de son peloton, il prit peur et se dit qu’il fallait créer une voie de dégagement. Or, celle-ci se fait grâce à un contre feu : un feu circonscrit qui, une fois éteint, permet de dégager. Lorsqu’il se rendit compte de son erreur tactique, Dodge, le contremaître avança vers le ravin en mettant le feu à ce qui devait être la voie de dégagement. Il ordonna à ses hommes de venir le rejoindre et de se coucher sur le sol encore brûlant dans la voie de dégagement ainsi constituée. Mais cette voie de dégagement les rapprochait du ravin en feu, les pompiers, plutôt que d’obéir à un ordre qui leur paraissait être contradictoire, continuèrent jusqu’en haut de la colline, chargés de leur matériel lourd. Le feu les rattrapa…

Cf. paragraphe plus haut : « …tous les acteurs partagent la même définition de la mission et se sont mis en place selon une stratégie et des comportements appropriés ».

l-aveuglement-organisationnelL’aveuglement organisationnel ou comment lutter contre les malentendus
de Valérie Boussard
Chaire de Développement des systèmes d’organisation du CNAM

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Lire le texte intégral du chapitre VII du livre : Paradigmes et matrices… ou l’analyse du feuilletage des situations
Lire, aussi, la fiche de lecture du livre ici (.doc)

Prestation - Supervision ISRINous avons souvent relevé dans nos accompagnements ISRI que ce que semble voir le salarié de son organisation est une réponse à ses besoins d’appartenance à un groupe (le service, le bureau, l’équipe, l’agence…), c’est-à-dire à des micro-groupes(4)Michel Maffesoli parle de « tribus » : « le tribalisme rappelle, empiriquement, l’importance du sentiment d’appartenance, à un lieu, à un groupe, comme fondement essentiel de toute vie sociale. ». Maffesoli, Michel, Le temps des Tribus, La table ronde, 2000, p.XII.

Paul-Henri Chombart de Lauwe, quant à lui, parle d’unité de vie sociale : « l’unité de vie sociale est une unité de vie quotidienne, une unité d’usage, une unité de relation […] Elle a une existence. » Chombart de Lauwe, Paul-Henri., Pour une sociologie des aspirations, Denoël-Gonthier, 1971, p.128, voire à l’organisation toute entière aussi ou seulement.

A plusieurs reprises, au moment des entretiens que nous avons eu l’occasion d’effectuer dans les entreprises, les salariés ont exprimé cette appartenance. Dans certains cas, c’est l’étiquette du métier exercé qui autorise un sentiment d’appartenance.

A partir de là, nous pouvons voir cette appartenance micro-groupale (que d’autres appelleraient tribale(5)Michel Maffesoli a proposé la métaphore de la « tribu » pour prendre acte de la métamorphose du lien social (Maffesoli, M., Le temps…, op. cit. p.III) ou unité de vie sociale) comme un « idéal communautaire »(6)Maffesoli, M., Le temps…, ib. p.XII., une reconnaissance à satisfaire.

Cette « organisation communautaire idéale » permet, dès lors, une double communication : intra-groupes (de salarié à salarié) et inter-groupes (d’un service à un autre service ou d’une équipe à une autre équipe, par exemple).

Changement personnel ISRI - Photo EchiquierL’usage de manières de faire prend la place des manières de faire même et marque ce que le salarié cherche à présenter. En effet, il se comporte, par exemple, de manière à gagner la sympathie des autres ! Son comportement moral tient compte du jugement de l’autre pour obtenir une appartenance, tout du moins, un allié dans le regard de l’autre.

Le salarié dans son entreprise, un inventeur de manières de faire

Changement personnel ISRI - Photo ValeursLire ou relire l’article additionnel ISRI dans ce même dossier sur le changement :

Comprendre le changement : les valeurs, importance et ambivalence

Le lecteur comprendra aisément que nous ne rapportons pas ici l’ensemble des questions que notre équipe s’est posée, ni des démarches que nous avons effectuées, ni du savoir-faire déployé au cours de la mission. Ce serait fastidieux et sans intérêt dans cet article.
Changement personnel ISRI - Photo Echiquier
Le salarié dans son entreprise, un inventeur de manières de faire

Michel de Certeau veut parler de tactiques et de stratégies dans la première partie de « L’invention du quotidien »(7)Certeau, Michel (de), L’invention du quotidien 1. arts de faire, Gallimard, coll. Essais, 1990. Dans ce sens, il entame une importante recherche née, précise-t-il, « d’une interrogation sur les opérations des usagers, supposés voués à la passivité et à la discipline. »

Comme les pompiers de Mann Gulch qui avaient foi en leur formation !
Valérie BOUSSARD est sociologue, maître de conférences à l’université de Versaille-Saint-Quentin-en-Yvelines et membre du laboratoire Printemps-CNRS. Delphine MERCIER est chargée de recherche au CNRS, membre du Lhest. Pierre TRIPIER est sociologue, ancien professeur à l’université Versaille-Saint-Quentin-en-Yvelines. Ils ont publié ensemble « L’aveuglement organisationnel ou comment lutter contre les malentendus », CNRS, 2004.
Changement personnel ISRI - Photo Besoins-aspirations PMSur ce point, le lecteur peut (re)lire le deuxième chapitre de la deuxième partie intitulé :

Besoins et aspirations : jeux, tactiques et stratégies

Notes de l`article   [ + ]

Mai 052013
 

COMPRENDRE LE CHANGEMENT :
Le salarié dans son entreprise,
un inventeur de manières de faire

Article complémentaire au dossier sur le changement personnel, deuxième partie (#2.1).

Changement personnel - Photo Certeau

Michel de Certeau, dans la première partie de « L’invention du quotidien », entame une importante recherche née, précise-t-il, « d’une interrogation sur les opérations des usagers, supposés voués à la passivité et à la discipline. »(1)Certeau, Michel (de), L’invention du quotidien 1. arts de faire, Gallimard, coll. Essais, 1990, p.XXXV

 

Ce que propose de Certeau

Ce que propose de CERTEAU

Ce que propose Certeau, c’est « d’exhumer les formes subreptices que prend la créativité dispersée, tactique et bricoleuse des groupes ou des individus »(2)Certeau, M., L’invention…, ib., p.XL qui, « par leur manière de les utiliser à des fins et en fonction de références étrangères au système »(3)Certeau, M., L’invention…, ib., p.XXXVIII, « subvertissent » les productions ou les représentations imposées par une contingence.

Changement personnel ISRI - Photo EchiquierNous allons donc nous attacher a découvrir les types de logiques spécifiques exercées au sein d’une organisation et les ruses anonymes, les habiletés « inventées » au coup par coup dans les interrelations : les  TACTIQUES.

« J’appelle tactique l’action calculée que détermine l’absence d’un propre. […] La tactique n’a pour lieu que celui de l’autre. Aussi doit- elle jouer avec le terrain qui lui est imposé tel que l’organise la loi d’une force étrangère. Dossier Changement Définition ISRIElle n’a pas le moyen de se tenir en elle même, à distance, dans une position de retrait, de prévision et de rassemblement de soi : elle est mouvement « à l’intérieur du champ de vision de l’ennemi », comme le disait von Bülow, et dans l’espace contrôlé par lui. Elle n’a donc pas la possibilité de se donner un projet global ni de totaliser l’adversaire dans un espace distinct, visible et objectivable. Elle fait du coup par coup. Elle profite des « occasions » et en dépend, sans base où stocker des bénéfices, augmenter un propre et prévoir des sorties. Ce qu’elle gagne ne se garde pas. Ce non-lieu lui permet sans doute la mobilité, mais dans une docilité aux aléas du temps, pour saisir au vol les possibilités qu’offre un instant. […] En somme, c’est un art du faible. »(4)Certeau, M., L’invention…, ib., p.60,61

Par suite, nous prendrons appui sur les concepts d’usages, de stratégies et de tactiques de Certeau.

Nous nous intéressons à ces concepts parce-qu’ils permettent d’aborder le phénomène de changement dans les différentes situations comme une inventivité incessante de certains salariés, par exemple. Cette inventivité, plus ou moins inconsciente, devrait nous mener au cœur même des raisons des changements parce-qu’elle est susceptible d’autoriser des « arts de faire » dans les relations, les rendant dynamiques relationnelles.

Pour exemple faisons une analogie, les pratiques de « bricolage » qui relèvent des nouvelles technologies produisent une écriture particulière favorisant une lecture rapide, signalétique et une mise en page dont la typographie est image.

Cette écriture particulière produit à son tour une lecture particulière qui fonctionne comme un espace ouvert à l’inventivité. Donc, un « propre » de modèles et de relations.
Cette écriture particulière semble, par là, traiter de la dimension sociale dans lequel se trouve inscrite une pratique symbolique (un graphisme) qui structure la fabrication d’un sens (une intention, un imaginaire ou à une représentation des normes) et la met en valeur.

Selon Certeau, ce « propre » est le préalable à l’élaboration d’une stratégie(5)« le calcul des rapports de forces qui devient possible à partir du moment où un sujet de vouloir et de pouvoir est isolable d’un « environnement ». Elle postule un lieu susceptible d’être circonscrit comme un propre et donc de servir de base à une gestion de ses relations avec une extériorité distincte. » (Certeau, M., L’invention…, ib. p.XLVI).. Il a montré comment il y a un « geste » qui distingue un lieu autonome, un « propre », qui permet de capitaliser les avantages acquis et de préparer des expansions futures : « l’enfant gribouille encore et tache son livre d’école ; même s’il est puni de ce crime, il se fait un espace. »(6)Certeau, M., L’invention…, ib., p.53

Il implique donc un contrôle du lieu par le biais d’une « pratique panoptique »(7)Certeau, M., L’invention…, ib., p.60 qui permet de le contrôler en le transformant.
Le lieu circonscrit comme un « propre » sert alors de base pour gérer des relations, une communication et fixer des stratégies qui les transforment en espaces lisibles. Par exemple, « l’acte de dire est un usage de la langue et une opération sur elle. »(8)Certeau, M., L’invention…, ib., p.56

A retenir ISRILa tactique s’inscrit dans le lieu de l’autre(9)« La tactique n’a pour lieu que celui de l’autre. » (Certeau, M., L’invention…, ib., p.60).. Ce qui nous permet de regarder les actions du salarié en tant qu’elles sont des tactiques, c’est-à-dire des actions calculées que détermine l’absence d’un « propre », mouvements dans un espace contrôlé par autrui.

C’est un art de jouer des coups, de saisir l’occasion : « [la tactique] fait du coup par coup. Elle profite des « occasions » et en dépend. »(10)Certeau, M., L’invention…, ib., p.61 Autrement dit, « un calcul qui ne peut pas compter sur un propre. »(11)« Le « propre » est une victoire du lieu sur le temps. Au contraire du fait de son non-lieu, la tactique dépend du temps, vigilante à y « saisir au vol » des possibilités de profit. Ce qu’elle gagne, elle ne le garde pas. » (Certeau, M., L’invention…, ib., p.XLVI).

Il est remarquable que les termes de « tactique » et de « stratégie », entendus dans le sens certausien, sont antonymes, mais pas véritablement antinomiques : une manière d’agir pour atteindre un objectif, pour l’un, une connaissance portant sur les différentes manières d’agir, c’est-à-dire un « art de combiner et de coordonner diverses actions pour atteindre un but »(12)Dictionnaire Robert, Micro Poche, tome II, 1986, pour l’autre.

D’un point de vue individuel, l’usage de ces pratiques serait alors un art d’être et de faire circonstanciel, une tactique conduisant l’individu dans une autodidaxie dont on devine le rapport au monde et à soi propice aux changements.

Elle serait avant tout une construction de détours et contours, toujours substitution de règles de contrainte.

Découvrir cette réinvention du quotidien exercée par le salarié doit permettre de marquer son acculturation, ses innovations et le préparer à son changement.

Autrement dit, repérer et décomposer les stratégies ou les tactiques adoptées par les salariés devrait nous permettre de comprendre le phénomène de changement aussi bien au travers de son identité personnelle que de son identité sociale prise au jeu des interactions avec l’organisation (le service, l’équipe…).

En même temps et en poussant ce raisonnement, cela nous permet lors de nos prestations de dégager trois points :

  • l’expression de sa personnalité,
  • son image du micro-groupe (nous traduisons : le lieu symbolique où il veut s’installer) et
  • son acculturation qui s’accompagne d’actions symboliques (usages, jeux, ruses, tactiques par des potentiels d’imagination et de créativité) destinées à consacrer son changement.

La variété des changements constatés enrichit, dès lors, notre compréhension du phénomène. L’examen des transformations, des changements qui affectent tour à tour les valeurs, les conduites et les systèmes de pensée permettent ainsi la description des conditions de leur apparition, leur fonctionnement et leur éventuelle disparition.

Trois catégories pour décliner la figure du salarié

Trois catégories pour décliner la figure du salarié

Prestation - Supervision ISRIA partir des thèmes abordées dans les recherche de M. de Certeau, nous avons souvent demandé sur le terrain que chacun explicite ce que lui procure sa participation dans son micro-groupe (son équipe, son bureau, son service, son centre, son agence…). Ces perceptions nous ont permis d’identifier des comportements divergents.

La diversité de ces divergences, à leur tour, nous a permis d’envisager un classement. Ainsi, nous avons considéré trois catégories de salariés qui correspondent à trois grandes manières de décrire la participation :

  • le salarié actif ou « philanthrope »,
  • le salarié passif ou « pharisien-prestige »,
  • le salarié actif-passif et le salarié passif-actif ou « synallagmatique ».

1) Le salarié philanthrope :

Le Philanthrope est rare. Il est celui qui aide les autres bénévolement, fraternellement, spontanément, sans contrepartie, par foi, simplement. C’est un actif au sein de l’organisation. Il a besoin de cette action. On le retrouve syndicaliste, ou actif au Comité d’Entreprise, par exemple.

Mais son attitude n’est pas toujours constante parce qu’elle constitue une contribution ponctuelle à l’organisation. En fait, son comportement altruiste est limitée dans le temps et se repère seulement par bribes, par « coups d’éclats ».

Il se rapproche dans ses attitudes relationnelles à celles du don. Il est d’une relative stabilité familiale et professionnelle.

2) Le salarié pharisien-prestige :

Celui qu’on appellera « le Pharisien-prestige » cherche dans ses relations quelque chose de précis, pas nécessairement la pratique de son métier, mais, plutôt, répondre à un besoin de reconnaissance.

Ce besoin s’appuie sur la nécessité de connaître voire d’appartenir au corps de métier dont la caractéristique principale, pour « celui qui n’en fait pas partie », est l’image du « prestige », pour lui.

Une première réflexion pourrait nous faire le qualifier « sous le nom pudique de consommateur »(13) Certeau, M. (de), l’invention…, op. cit., p.XXXVI.

En fait, c’est un « passif/passif » dans sa participation au dynamisme général de l’entreprise même si c’est un actif pour lui-même. Il est persuadé de faire quelque chose pour les autres, en fait, il le fait pour lui d’abord : sa mobilisation repose sur la reconnaissance qu’il espère en lien avec sa motivation essentielle qui repose sur la reconnaissance qu’il obtient. Bref, un pharisien. C’est-à-dire « celui qui présente comme conforme à l’intérêt général ce qui est avant tout de son intérêt. »(14)Boudon, Raymond, La théorie des valeurs de Scheler vue depuis la théorie des valeurs de la sociologie classique, Travaux du Gemas n°6, 1999 p.7

Il sait ce qu’il veut même s’il ne le formule pas clairement : s’aider lui-même au succès de sa propre démarche de reconnaissance (« pour être dans le monde », nous dirait Louis Dumont(15)« Pour être dans le monde », nous dirait Louis Dumont : Individu-dans-le-monde / Individu-hors-du-monde : « L’individu, s’il est « non social » en principe, en pensée, est social en fait : il vit en société, « dans le monde ». En contraste, le renonçant indien (Indes) devient indépendant, autonome, un individu, en quittant la société proprement dite, c’est un « individu-hors-du-monde » ». Dumont Louis, Homo aequalis, 1976.), et peut facilement quitter l’entreprise lorsque sa demande est satisfaite. Oui, oui, vous lisez bien, lorsque sa demande de reconnaissance est satisfaite !

3) Le salarié synallagmatique :

C’est le type de salarié le plus fréquemment rencontré dans nos prestations (7 fois sur 10). Il « marche au donnant-donnant ». L’entraide mutuelle, lui, il connaît ! Il donne avec toujours le secret espoir d’un retour : « Je donne si tu m’as déjà donné ou si je suis quasiment sûr que tu me rendras ». Il s’agit là d’une attitude synallagmatique. C’est la raison pour laquelle nous lui avons attribué ce nom.

Il semblerait qu’il cherche à répondre à un besoin de relations qui s’appuie sur celui d’appartenance à un groupe qui le reconnaît. Il y parvient à communiquer, échanger, partager, développer des projets avec les autres par système « d’ancrage » et de « mobilisation ».

On distinguera deux profils de Synallagmatique :

le « Synallagmatique passif-actif » que nous appellerons « Synallagmatique-copain »(16) Forme de l’ancien français compain, « avec qui on partage le pain ». C’est un camarade que l’on aime bien. (Dictionnaire usuel du français, Hachette, 1989). Sachant qu’un camarade est une personne avec qui on partage certaines occupations et qui de ce fait devient familière. Le Larousse de poche de 1978 nous dit : « Compagnon de travail, d’étude, de chambre » et le Quillet de 1971 « Celui qui vit familièrement avec un autre ». Il échange en s’arrangeant de prendre plus que ce qu’il est prêt à donner. Il peut exprimer ce qu’il voudrait faire pour les autres mais avancera des excuses pour ne pas les faire. Il est, dans l’idée, relativement proche du Pharisien-prestige.

le « Synallagmatique actif-passif » ou « Synallagmatique-ami« . Un ami n’est-il pas une personne avec qui l’on a des affinités, proche, intime ? « Qui a de l’attachement pour » nous dit le Quillet de 1971.

C’est un sentiment partagé, réciproque. Lacordaire (Henri-Dominique, abbé) ne disait-il pas : « L’amitié est le plus parfait des sentiments de l’homme parce-qu’il est le plus libre, le plus pur et le plus profond » ? Et Montaigne à propos de la Boétie : « Si on me presse à dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne peut s’exprimer qu’en disant : « Parce-que c’était lui, parce-que c’était moi » » ?

Le Synallagmatique-ami échange en donnant plus qu’il ne prend. Il exprimera ce qu’il fait réellement pour les autres mais gardera à l’esprit ce « retour des choses » qui équilibre ses rapports. Ceci dit, les comportements et les attitudes du Synallagmatique-ami tendent à se rapprocher de ceux du Philanthrope.

En résumé, un tableau


Type de salarié


Actif


Passif


Actif

 


Philanthrope

(cherche à aider bénévolement)


Synallagmatique copain

(échange en prenant +)


Passif

 


Synallagmatique ami
(échange en donnant +)


Pharisien-prestige

(cherche à prendre)

Tableau récapitulatif des trois figures du salarié

La lecture de ce tableau nous conduit à poser de nouvelles questions dont les réponses pourraient déterminer un nouveau paramètre : le niveau d’engagement du salarié par rapport à son ancienneté.

En l’incluant dans l’analyse, il permettrait au responsable du changement de définir avec plus de précision encore la définition des trois catégories types de salarié, d’une part, et indiquerait les fluctuations de l’environnement de l’organisation, d’autre part.

Autrement dit, la question à se poser serait : y aurait-il une évolution entre les diverses attitudes perçues : Pharisien-prestige puis Synallagmatique (copain puis ami) puis Philanthrope ? Si oui, quel en est le facteur ? Y aurait-il une durée au terme de laquelle le salarié prendrait la décision, consciente ou pas, de s’engager plus ou de quitter l’association ?

Nous entendons par « évolution de l’engagement » des phases successives par laquelle passe le salarié avant d’atteindre de façon utopique « l’engagement total ». Le salarié partirait d’une situation de « consommateur » (le Pharisien-prestige) pour évoluer, dans ses attitudes d’engagements, vers les caractéristiques du Synallagmatique (copain puis ami) puis vers celles du Philanthrope.

Pour répondre à ces questions avec certitude le responsable du changement devra communiquer par entretiens individuels et en groupe avec les salariés. Par expérience terrain, il semble que l’engagement évolue avec l’ancienneté ; parfois elle décroit, souvent elle croit.

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