Réflexions sur l’éthique
GÉNÉRALITÉS
D’après l’éthique de Jean-Armand HOURTAL(1)17/10/05, docteur en sciences Humaines, diplômé universitaire d’éthique de la médecine
DEUXIÈME PARTIE L’ÉTHIQUE, RÉFLEXIONS ET APPLICATIONS : GÉNÉRALITÉS Ce dossier sur l’éthique est composé de trois parties : un résumé, des généralités et un développement. Le lecteur peut prendre la mesure du travail effectué en lisant le résumé. S’il souhaite en connaître les fondements, il lira avantageusement la partie généralités. Enfin, pour tenir comme certains les propos du résumé, il lira soigneusement la partie développement. De manière connexe, le lecteur peut effectuer un . Nous allons tenter d’approcher l’idée de l’éthique par quelques généralités, par la suite nous approfondirons la notion en entrant davantage dans son intimité. |
Question de départ
Quand, dans la civilisation Grecque, voici environ 2500 ans débuta la réflexion philosophique sur l’éthique, c’est à dire sur la vie juste, la question initiale n’était pas de savoir ce que l’homme doit faire, mais ce que l’homme veut faire véritablement et fondamentalement. Les Grecs pensaient que si l’homme a compris ce qu’il veut, il saura aussi ce qu’il doit faire pour mener une vie juste. Cette idée, tout a fait pertinente est toujours actuelle.
Le mot Ethique de notre langue française provient, vers 1265, du mot Latin savant Ethica (morale dans le sens de partie de la philosophie) lui-même emprunté au grec Ethikon, êthicos (qui concerne les mœurs) dérivé de êthos (manière d’être habituelle, caractère).
Comme l’a fait avant moi le philosophe Paul Ricœur je propose de distinguer pour des raisons de clarté de l’exposé, entre l’éthique et la morale.
- L’éthique serait alors le questionnement qui précède l’idée de loi morale. L’éthique se situe à la pointe des interrogations, elle est au devant des questions, elle fraie les chemins et envisage des ébauches de réponse. L’éthique hésite parfois, doute souvent dans les applications pratiques, mais elle s’efforce toujours de progresser vers le meilleur ou le moindre mal, elle cherche laborieusement au risque de l’erreur.
- La morale serait ce qui dans l’ordre du bien et du mal se rapporte à des lois, des normes, des impératifs. La morale recommande de faire ceci ou de s’abstenir de cela en raison de règles diverses. La morale se réfère à une autorité préexistante réelle ou imaginaire, temporelle ou spirituelle. La morale prescrit : « tu feras ceci et ne feras pas cela », elle est conviction, certitude dans la théorie mais contrainte dans la pratique.
Mais pourquoi avons-nous besoin d’interroger l’éthique et la morale ? Ceci revient à s’interroger sur la signification du « bien », « mal », bon », « mauvais », « juste », « injuste ». Nous tenterons ainsi de mieux comprendre ce que nous appelons l’éthique, les vertus, les valeurs, enfin tout ce qui produit les règles, les normes et les lois et guide notre conduite.
Sur le « bon » et le « mal »
Que peut signifier réellement la notion de « bon » ?
Prenons un exemple : Si votre médecin vous dit « il est bon que vous restiez au lit » il serait utile de préciser « bon pour vous » et mieux encore » c’est bon pour vous de rester au lit si vous voulez être rapidement rétabli de votre grippe ». Ce mot « bon » est valable si votre santé est le point le plus élevé dans la hiérarchie de votre intérêt. Il se pourrait qu’une situation d’urgence vous amène à ne pas rester au lit (par exemple : un incendie dans votre chambre). Est-ce que le mot « bon » du médecin n’est plus valable ? Non bien sur, mais il est des circonstances qui veulent que la priorité vitale n’est certainement pas de rester au lit.
Prenons encore l’exemple d’un salarié qui fait des heures supplémentaires. Ces heures de travail en plus (si elles sont rémunérées) sont « bonnes » pour la paye mais « mauvaises » pour la vie de famille et pour la santé. On peut aussi penser qu’une autoroute est « bonne » pour améliorer la circulation, mais « mauvaise » pour les riverains. Nous pouvons encore imaginer qu’un chirurgien puisse faire du « mal » en opérant son patient afin que ce dernier puisse avoir sa vie sauve, ce qui est habituellement considéré comme un « bien ». Le fait qu’une action soit bonne dépend toujours de la totalité des circonstances, des contextes et des situations. Ce sera donc par rapport à une situation relative que nous pourrons tenter de hiérarchiser ce qui semble plus ou bien « bon » dans l’échelle des valeurs.
Ce qui précède pose la question du « bon » ou du « bien » dans la vie de tous les jours, celui du monde relatif. Mais peut-on considérer l’existence d’un bien ou d’un mal absolu ?
D’une manière générale le « mal » est plus facilement et rapidement perceptible que le « bien ». On remarque en effet une certaine asymétrie entre les « bonnes et les mauvaises actions ». Il n’existe que très peu de façon d’agir pouvant être estimées « bonnes » toujours et partout. Curieusement, ce qui est vertu, comme l’amour de son pays, de sa religion ou l’obéissance à son chef est justement ce qui produit les pires tourments, comme les guerres, les persécutions et les génocides. Ce ne sont pas des prostituées, des ivrognes ou des brigands qui ont inventé l’inquisition, la guerre bactériologique ou les famines organisées. Ce sont de respectables théologiens, des savants nobélisables et des patriotes au-dessus de tout soupçon. En outre le « dangereux terroriste » pour les uns, sera considéré comme « un valeureux résistant » par les autres. Et ceci au gré des circonstances historiques, des points de vue dominants et de la puissance des médias.
Nous pensons néanmoins que les « bons » soins des parents envers les enfants sont une chose « bonne ». Dans d’autres domaines, l’impartialité du juge est considérée partout comme une vertu et en temps normal nous apprécions universellement le respect d’une parole donnée. Par contre, il y a des façons d’agir qui sont, indépendamment des circonstances, toujours mauvaises, parce que, par elles, on nie de façon immédiate et définitive la dignité de la personne
Nous pensons que l’assassinat de femmes et d’enfants ne peut jamais se justifier, même en temps de guerre, même en obéissance à un ordre venant de supérieurs, même cet ordre venait directement d’une « révélation divine ».
Nous pensons que la torture par ses parents d’un petit enfant de deux ans parce qu’il fait pipi au lit est définitivement dans le domaine du mal. Nous trouvons la torture mauvaise parce qu’on ne doit jamais torturer un enfant. Cela est valable dans chaque pays, dans chaque culture et dans l’ensemble de l’histoire des hommes et rien ne peut justifier une conduite différente.
Critères du « bien et du mal »
Qu’est ce qui peut servir de critère, pour déterminer le bien et le mal (ou bon/mauvais ou encore juste/injuste) ? Nous faisons référence à la conscience profonde de la personne, (pourvu qu’elle soit en état de fonctionner, ce qui n’est pas une situation généralisée ! ) Dans les meilleures des cas, la conscience témoigne de la présence d’un point de vue absolu dans l’humain qui est un être fini. Et ce point de vue essaie de s’exprimer, même maladroitement sur ce qui est le bien, ce qui est bon, et ce qui est juste.
Posons un premier jalon : si la conscience n’approuve pas une chose, cette chose ne peut être bonne. Par contre, ce qui est en accord évident avec la conscience doit quand même être examiné. La conscience n’a pas toujours raison, car les autres instances de l’être (le corps physique et ses besoins, les 5 sens et leurs mirages, l’ego et son point de vue partiel) peuvent l’induire en erreur.
Même si la conscience en état de fonctionnement permet habituellement de discerner entre le bien et le mal, elle n’est pas un oracle absolu. D’ou l’importance d’examiner toutes choses (le mal comme le bien, mais il convient d’examiner avec plus d’attention ce qui semble « bien » a priori car la « bonne conscience » permet trop souvent de justifier les pires crimes). Il convient de faire évaluer son jugement par celui d’autrui, de ne pas négliger les leçons de l’histoire, de se méfier des évidences, de savoir douter, de parfois s’abstenir et, lorsque cela est possible, de laisser « du temps au temps ».
Diverses conceptions du « bien et du mal »
Si nous restons sur la question du « bon » et du « bien », on a souvent écrit et dit que le vouloir de l’être humain porte sur le plaisir et l’absence de souffrance. Cette conception n’est pas nouvelle, elle s’appelle « l’hédonisme » (du mot grec « hedone = plaisir »).
Il existe deux variantes de l’hédonisme : la positive qui met l’accent sur la maximalisation du plaisir, c’est la posture de ceux qui ont les moyens d’accroître leurs désirs. La posture négative est celle qui met l’accent sur l’éloignement de la douleur, elle est plutôt ascétique et le « bien » consiste à contenir les désirs dans des limites étroites afin de restreindre les frustrations possibles. Cette dernière posture est l’opinion du philosophe Grec Epicure, elle est liée à la santé car le plaisir à long terme suppose de se maintenir en bonne santé.
Selon Freud, le fonctionnement de la petite enfance se comprend à l’aide de deux concepts : « principe de plaisir » et « principe de réalité ». Le père de la psychanalyse considérait l’ensemble de la vie comme une tentative de compromis entre ce que nous voulons réellement – un assouvissement illimité de la libido- et – l’adaptation à la réalité qui s’oppose à cet assouvissement -.
L’affirmation de Freud est-elle fondée ? Pouvons-nous accepter son modèle du fonctionnement humain. Ce modèle du principe de plaisir et du principe de réalité apporte-t-il l’explication sur les agissements humains ?
Imaginons une personne placée sous narcotique dans un bloc hospitalier. Cette personne est dans un état d’euphorie complète et continue. En effet, par un système de perfusion, il lui est injecté en permanence « une drogue du bonheur ». Le savant indique que cette personne restera 50 ans ou plus dans cette situation et après on ajoutera au narcotique une substance qui tuera le patient sans douleur et sans le réveiller de son rêve enchanté. Qui accepterait parmi vous d’être placé dans cette situation ? Nous pouvons penser que rares seraient les personnes souhaitant « vivre » cette expérience. On peut donc conclure que ce qui intéresse les humains n’est pas simplement le plaisir, mais de poursuivre une vie souvent ordinaire, avec des voisins habituels et des soucis quotidiens mais dans le monde de la réalité.
Nous pourrions prendre un autre exemple : imaginez ce que serait notre vie si nous ne devions jamais mourir ? Quel sens aurait-elle ? Que ferions-nous de notre temps s’il n’était plus aussi précieux ?
Vous commencez peut être à découvrir que l’éthique pose des questions difficiles ?
Examinons à présent deux positions extrêmes pour approcher la relativité dans l’éthique :
1ère thèse :
Tout homme devrait suivre la morale établie dans la société où il vit : Ceci dit en passant il s’agit d’un modèle habituel chez les sociétés « conservatrices » :
- contradiction par le fait qu’une norme universelle est posée
- contradiction car la société n’a pas une seule morale établie (exemple de l’avortement)
- contradiction car la plupart des sociétés ont été fondées par des personnes qui ont mis en cause l’ordre établi.
2ème thèse :
Tout homme doit agir selon son bon plaisir et trouver son bonheur comme il l’entend
- cette thèse est amorale dans le sens que le « bien » est uniquement celui de l’individu (et que les autres crèvent)
- en fait chacun fait ce qu’il veut, à l’exception près que, puisque l’homme ne peut vivre seul, il doit donc nécessairement intégrer le « bien » de l’autre dans sa propre existence. S’il veut trouver son bonheur comme il l’entend, il rencontrera aussitôt l’autre qui pense et fait et veux la même chose.
Indiquons simplement deux positions éthiques irréductibles selon le sociologue Max Weber :
- l’éthique de la conviction, (ou déontologique) c’est celle des personnes qui, par exemple, en aucune circonstance, n’admettent la mort d’un humain. Cette vision nomme « bonne » ou « mauvaise » une action concernant la vie d’un être humain, sans considérer les conséquences à court ou à long terme. (Cette posture se rapproche de celle du pacifiste absolu qui refuse toujours et en toutes circonstances de « prendre les armes » ou encore celui qui pratique l’acharnement thérapeutique au nom d’une idéologie de la vie).
Comment fonder une éthique universelle ?
Dans les paragraphes qui précèdent nous avons approché la difficulté de définir un ordre de valeur, c’est à dire une éthique universellement acceptable.
Pour tous les individus qui adhèrent à une croyance religieuse, le problème du bien et du mal est clairement réglé dans leurs textes sacrés (Bible, Coran, Nouveau Testament, Gîta). Pour ces personnes, le fondement de l’éthique est naturellement conforme aux normes religieuses en vigueur dans leur croyance. Il s’agit donc de règles éthiques hétéronomes, car ces règles dépendent d’une autorité extérieure
Pour les personnes qui se réfèrent à une philosophie, à un personnage fondateur, à un gourou mort ou vivant ou encore à une quelconque idéologie (Marxisme, Libéralisme, Maoïsme, et l’ensemble des ismes… etc.) ; la situation par rapport à l’éthique est exactement comparable à la croyance religieuse : cette compréhension de l’éthique est hétérodoxe et a tendance à faire peu de cas de la conscience personnelle.
Par contre, pour les humains qui se réfèrent à une loi intérieure, les fondements de l’éthique doivent répondre à la raison, au bon sens, à l’expérience historique et in fine à la conscience. Il s’agit alors d’une éthique autonome.
En conséquence, les fondements de l’éthique doivent, pour être valides, avoir une portée universelle, répondre à de grands intemporels. Notons en passant que les philosophies et les religions puisent à ce même substrat universel, dans leur théorie tout au moins… Leurs pratiques sont assez souvent éloignées de l’idéal éthique.
C’est dans cette optique que le choix des neuf principes de l’éthique s’est construit progressivement.
- Les principes de Justice et de Liberté sont issus des travaux de la Commission présidentielle américaine pour l’étude des problèmes éthiques en médecine et en recherche médicale et comportementale.
- Le principe d’autonomie provient de la première déclaration d’Helsinki en 1964.
- Les principes de non malfaisance et de bienfaisance sont issus de la tradition médicale, héritière d’Hippocrate.
- Le principe de communication a été ajouté par le Dr Sann, mon professeur d’éthique, d’après les idées d’Habermas, Lévinas et Goffman.
- Le principe d’universalité est l’application d’un impératif catégorique, exprimé par Kant dans la « métaphysique des mœurs ».
- Le principe de cohérence est établi d’après Beauchamp et Childress (Oxford University New-York, 1994) : Il détermine pourquoi l’obligation morale générée par un principe peut être prédominant.
- Enfin le principe de transcendance est ma participation à cette lente construction. Ce dernier principe pourra, par ailleurs, être contesté par les ultra-matérialistes et les nihilistes de tout poil. Mais arrivé à ce stade de ma réflexion sur la personne humaine, je suis convaincu que l’être humain est plus de la somme de ses parties. De la même manière que l’éthique est plus que la simple addition de chaque principe isolé. Il convient donc de maintenir cette ouverture vers ce qui est encore « mystère ».
Voir la troisième partie sur l’éthique : DEVELOPPEMENT >>>
Pour en savoir +
Notes de l`article [ + ]
1. | ↑ | 17/10/05, docteur en sciences Humaines, diplômé universitaire d’éthique de la médecine |