Avr 272015
 

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Comment faire face aux
“tactiques compétitives”
en négociation ?

 

Rozenberg Michel Article ISRI Comment faire face aux “tactiques compétitives” en négociation - Image Starting blocks compétitionVivons-nous dans un monde où les gens se comportent toujours de façon bienveillante, agréable, déontologique et éthique envers les autres ? Vivons-nous dans un monde où les individus s’intéressent toujours sincèrement et spontanément à leurs pairs, collègues, concitoyens ? Vivons-nous dans un monde où chacun manifeste un intérêt authentique et semble toujours prêts à aider ? Non, bien sûr, nous sommes loin du compte, très loin même !

 

Introduction

INTRODUCTION

En fait, notre époque est marquée par une tendance à essayer d’assouvir nos besoins et nos désirs instantanément, par l’envie de recevoir une réponse immédiate à nos questions et par le souhait de réussir ce que nous entreprenons, au moment même où nous commençons à y penser. La patience est une vertu en voie de disparition et l’individualisme, une manière de vivre de notre temps. Nous focalisons davantage notre attention sur nous-mêmes. Est-ce exagéré de décrire notre environnement de la sorte ? Ce qui est sûr, c’est que, parfois, forcer le trait permet une meilleure prise de conscience.

A l’ère où l’Internet et les réseaux sociaux semblent renforcer ces façons-là de fonctionner, force est de constater que nous devons encore négocier en face à face.

En effet, si de nombreuses négociations nous semblent simples à conclure et ne nécessitent de consacrer que très peu de temps, un effort restreint, une énergie réduite, d’autres, au contraire, ressemblent à des marathons, chronophages et énergivores.

Or, nous vivons dans ce monde , un environnement qui nous force à agir, choisir et décider vite. Nous sommes donc inconsciemment influencés et poussés à réduire les délais, accélérer les processus, au risque de passer pour des impatients et au mépris, parfois, de l’impact que cela peut avoir sur les autres.

La politique, les affaires, les fusions et acquisitions, les changements (organisationnels, de culture, de politique…), les discussions entre patrons et syndicats constituent des chantiers nécessitant des stratégies globales de longue haleine.

Or, l’utilisation de tactiques compétitives, qui permet de contribuer à remplir cette volonté d’accélération, considère rarement les droits et prérogatives des interlocuteurs et contiennent de la violence verbale, mentale et parfois, hélas, physique.

Définir le terme 'tactique'

La Volonté Définition JAH-ISRIDéfinir le terme “tactique”

Il convient tout d’abord de définir le terme “tactique”.

, au sens de la négociation, est une façon de procéder qui permet de faire avancer les discussions.

Il existe trois sortes de “tactiques” selon Jean-Paul Guedj(1)« 50 fiches pour négocier avec efficacité » éditions Bréal, 2008 :

  • Les tactiques coopératives qui permettent de faire avancer les discussions à l’avantage de tous les protagonistes.
  • Les tactiques compétitives qui permettent à un protagoniste de faire avancer les discussions à son avantage.
  • Les tactiques mixtes qui sont une combinaison entre les deux autres catégories.
Définir le mot 'compétitive'

Prestation - Supervision ISRIDéfinir le mot “compétitive”

Ensuite, penchons-nous sur le mot “compétitive”.

Pour rappel, le célèbre dilemme du prisonnier, illustré par de nombreux ouvrages (Théorie des jeux et Nash, éditions 50 minutes, 2014) met en scène deux malfrats attrapés par la police et interrogés dans deux pièces séparées au sujet de leurs méfaits. Les inspecteurs qui mènent les interrogatoires leurs proposent « un deal » représenté par ce  :

Rozenberg Michel Article ISRI Comment faire face aux “tactiques compétitives” en négociation - Tableau Dilemme du prisonnier

Toute la difficulté, pour les suspects, dans cette tactique, repose sur l’ignorance de l’un de la position de l’autre : l’autre va-t-il se taire ou dénoncer ? C’est donc à partir de la supposée réponse de l’autre que chacun, va décider de dénoncer ou de se taire ! Quel dilemme !

Sur l’idée inverse, la notion « d’approche compétitive » désigne tout système qui permet à une personne d’avancer dans la direction de ses objectifs et de ses intérêts au mépris de ceux des autres intervenants. Aucun dilemme !

Cet extrait du film « Saint-Germain et la Négociation » tiré du livre de Francis Walder et réalisé par Gérard Corbiau, illustre bien cette notion :

Mais, la notion « d’approche coopérative », qui consiste à se taire pour chacun des suspects, entraîne une diminution substantielle des peines de prison.

Si nous transposons cet exemple du dilemme du prisonnier à d’autres situations de négociation, nous sommes amenés à penser que l’approche coopérative, même si elle n’est pas toujours naturelle ou souhaitée, permet théoriquement d’accroître le bénéfice de toutes les parties. En pratique, ce n’est pas toujours le cas, évidemment.

J’ai pour habitude de dire aux étudiants des programmes Master 1 et 2(2)Administration des entreprises, Marketing, PMI – PME et Ingénierie du management., pour qui l’enjeu est moins fort que celui de nos deux prisonniers, d’essayer d’abord l’approche coopérative et de voir ce qu’elle génère comme résultat quitte à revenir à une démarche plus compétitive en cas d’échec.

Rozenberg Michel Article ISRI Comment faire face aux “tactiques compétitives” en négociation - Image boule à la chevilleLa démarche contraire pose, hélas, un grave problème de crédibilité. En effet, comment voulez-vous passer d’une conduite compétitive à une marche à suivre coopérative sans éveiller la méfiance des autres et provoquer leur incrédulité ?

Voici quelques idées pour une approche coopérative :

  • Ecouter activement toutes les parties
  • Montrer des marques de respect et de politesse
  • Rechercher un lieu confortable pour les discussions
  • Ne pas pousser les autres négociateurs à décider dans l’urgence
  • Ne pas répondre du tac au tac ou de manière impulsive
  • Prendre en compte les intérêts de chacun
  • Accepter de faire des concessions
  • Chercher un accord
Les pressions, le manipulations

Les pressions, les manipulations

Maintenant que nous avons synchronisé notre compréhension des termes, revenons aux tactiques compétitives, décrites de façon très détaillée dans le livre de feu Patrick Audebert « Bien négocier » éditions d’organisation, 2005 et dont les principales sont exposées dans le livre de Raymond Saner « L’art de la négociation » aux éditions Chiron en 2005. Une simplification s’impose donc, pour ne pas avoir à passer en revue les quelques deux-cents cinquante tactiques exposées dans cet ouvrage.

Jean-Paul Guedj (en pop-up : « 50 fiches pour négocier avec efficacité » éditions Bréal, 2008.) propose trois grandes catégories :

  • Exercer des pressions
  • Manipuler la communication
  • Manipuler l’accord

1) Exercer des pressions

Utiliser le temps, l’espace, les exagérations, les stéréotypes…, pour forcer les autres à accepter nos propositions :

  • Menaces : Si tu ne signes pas ce document, tu ne sortiras pas de cette pièce !
  • Disqualification : Présentez-moi votre patron ou un collègue sérieux, il n’y a rien que je puisse faire avec quelqu’un comme vous !
  • Inconfort physique et psychologique : Asseyez-vous ici Monsieur dit l’acheteur en désignant un siège en plastique pour bébé.
  • Sprint, marathons, interruptions : Dans cinq minutes je quitte la pièce. Si nous ne trouvons pas un accord, ce sera fini.

2) Manipuler la communication

Utiliser les émotions, les informations douteuses pour tromper l’autre et/ou pour capter son attention et drainer son énergie ailleurs que sur des discussions qui font avancer la négociation vers l’accord

  • Absence de faits et de critères : il n’y a rien à expliquer. C’est comme cela !
  • Emotions, registre personnel : évidemment, avec de vieux garçons comme vous qui n’y comprennent rien à la vie de famille, je ne peux rien espérer ici.
  • Informations mensongères, floues : certains pays acceptent des règles de fonctionnement similaires.

Rozenberg Michel Article ISRI Comment faire face aux “tactiques compétitives” en négociation - image poignée de main3) Manipuler l’accord

Revenir sur des arrangements ou ne pas s’engager à les appliquer

  • Rapports faux, tronqués : il manque de l’information ou l’information ajoutée ne correspond pas aux discussions.
  • Non respect des accords : refus de mise en application de ce qui est convenu.

Il est aisé d’imaginer que se retrouver dans l’une ou l’autre de ces situations ne doit pas être très confortable pour un négociateur !

C’est d’ailleurs un des objectifs visés par les tactiques compétitives que de provoquer une vigilance accrue de la « victime » et l’obliger à consacrer une partie de son énergie à la gestion de l’inconfort tandis que « l’instigateur » de la tactique tentera d’obtenir des concessions supplémentaires.

Car, pour ces personnes peu scrupuleuses, il s’agit bien d’obtenir des avantages additionnels et de les acquérir vite sans passer par un processus raisonnable de négociation ; par exemple, découvrir les besoins et intérêts de toutes les parties, rechercher les points de convergence, tenter de réduire les écarts, trouver des solutions mutuellement bénéfiques…

Pourquoi est-ce dommageable ? Parce que les concessions faites pendant une négociation, qui sont essentielles pour faire avancer le processus de négociation de façon constructive et systématique, répondent à des rôles et à des règles précis. C’est ce que nous allons voir tout de suite.

Concéder, un art de faire pour négocier !

Rozenberg Michel Article ISRI Comment faire face aux “tactiques compétitives” en négociation - Image muscle-leurreConcéder, une art de faire pour négocier !

Même si en psychologie, concéder provoque souvent un sentiment de frustration et d’insatisfaction, engendrant par la suite, rancœur et stratégies d’ajustement et de compensation, les concessions aident à montrer notre bonne volonté aux autres parties, ensuite, elles permettent de prolonger la découverte de la situation puisqu’il n’est pas question d’aboutir trop vite à un accord – les accords trop rapides et les acceptations instantanées ont tendance à envoyer un signal d’alarme aux autres parties (erreur ou manque d’ambition) – et enfin, une des fonctions clefs, consiste à ne pas faire perdre la face aux autres !

Quand aux règles auxquelles elles répondent, les concessions sont à manier avec subtilité et connaissance pour éviter d’en faire trop, trop rapidement, d’envoyer des signaux négatifs involontairement et pour éviter les frustrations éventuelles qu’ont les gens en général lorsqu’ils se séparent de quelque chose.

Flèche animée ISRIFRANCE Citons parmi ces règles, celle de ne pas donner mais d’échanger. Ainsi, ce que nous donnons sans contrepartie apparaît comme ayant peu ou pas de valeur et incite les autres à demander plus.

Flèche animée ISRIFRANCE N’oublions pas, non plus, de faire « mériter » la concession à l’autre partie et de prendre son temps pour le faire.

Alors, comment faire ? Voici quelques idées :

 Changement personnel ISRI- Photo Bon à savoir A faire :

  • utiliser le silence qui permet de prendre le temps de la réflexion, du recul, notamment pour gérer ses émotions et pour inciter l’autre à en dire davantage,
  • ne pas interrompre son interlocuteur pour améliorer son l’écoute active, affiner son observation dans ces lors de moments difficiles, éviter de tomber dans un jeu de ping-pong où chacun prend appui sur l’argumentation de l’autre pour la réfuter,
  • « faire spécifier » reste une excellente pratique en partant du principe que le contenu des tactiques reste généralement vague et flou,
  • « reformuler » pour essayer d’obtenir une confirmation de la compréhension de ce qui arrive ou pour rassurer en montrant que nous avons bien entendu et compris
 Changement personnel ISRI- Photo Bon à savoir Bas A ne pas faire :

  • Répondre du « tac au tac » est à éviter, même si cela enchante les spectateurs de débats (politiques) contradictoires et les jurés qui assistent aux joutes verbales des avocats,
  • démontrer que l’autre à tort présente le risque de rendre les discussions difficiles, voire, impossibles, car l’autre pourrait considérer les propos comme des et les attaques personnelles. C’est donc à priori contre-productif !
  • « Faire perdre la face » à l’autre est très dangereux parce que cela enclenche le besoin de l’autre de prendre sa revanche ce qui est de mauvais augure pour le futur, l’avenir, le cas échéant. Je me souviens d’une personne à qui j’ai fait perdre la face, elle m’en veut depuis des années, et il est fort probable que cette situation soit définitive !
  • « Rendre le pareil » est également à éviter parce que cela risque d’enclencher un phénomène d’escalade.

 

Ensuite, il existe quelques outils puissants comme :

  • ‘dénoncer la tactique’ pour espérer décourager la partie qui l’utilise,
  • ‘définir des règles de fonctionnement et de conduite’ au début de la négociation avec l’espoir que les parties s’y conformeront, ou encore,
  • ‘ignorer ce qui arrive’ et ‘changer de sujet’ pour espérer décourager les autres parties.

Enfin, il y a pour chaque tactique une manière spécifique de l’aborder. Plus nous connaissons et sommes capables d’utiliser des outils, plus grande sera la probabilité que nous nous en sortions de façon élégante et avec des dégâts limités. Mais, rien ne donne une garantie absolue de réussite, comme toujours dans le domaine des Sciences Humaines !

Une chose est certaine : nous rencontrons et générons, couramment, une mise en pratique de tactiques diverses et variées dans nos négociations. Nous avons donc tout intérêt à en prendre conscience et à apprendre à réagir de manière assertive et constructive pour continuer les discussions et les mener si possible à un accord.

 

L'auteur

Pour en savoir +

Tactiques et stratégies, 3 articles ISRI en parlent :

 

Changement personnel ISRI - Photo EchiquierLe salarié dans son entreprise, un inventeur de manières de faire,

 

 

Changement personnel ISRI - Représentation de soiChapitre 4 :
Présentation de soi,
les jeux et les enjeux.

 

———————————————————————————————————-
Changement personnel ISRI - photo personne sur un échiquierCOMPRENDRE LE CHANGEMENT :
5/5 : L’usage de manières de faire :
la quintessence du changement

Ce tableau montre que si les deux voleurs se taisent, c’est à dire, s’ils coopèrent entre eux et non pas avec les policiers, ils écopent de six mois de prison, s’ils se dénoncent mutuellement, ils en prennent pour 5 ans et si l’un dénonce l’autre alors que l’autre se tait (l’un au moins se considère être en compétition avec l’autre), l’un est condamné à 10 ans de prison tandis que l’autre se retrouve libre.

Notes de l`article   [ + ]

Juin 062013
 

Dossier ISRI FRANCELe changement : deuxième partie
Comprendre le changement personnel
3/5
DU BESOIN DU SALARIE A SES ASPIRATIONS

Chapitre 3 sur 5 :
JEUX, TACTIQUES ET STRATÉGIES
Ce troisième chapitre
sur 5 (de la partie #2 du dossier sur le changement personnel) vient appuyer ce que le développement du chapitre 1 et du chapitre 2 ont permis de démontrer, à savoir, l’incontournable démarche consistant, pour les entreprises, à tenir compte SINCÈREMENT et VÉRITABLEMENT du potentiel de leurs collaborateurs ; au risque d’éviction par la concurrence !

 

Liminaires

Comprendre le changement :

Du besoin du salarié à ses aspirations


Liminaires :

Pour une parfaite compréhension de ce chapitre 2 « Comprendre le changement : du besoin du salarié à ses aspirations » du dossier sur le Changement Personnel, nous invitons le lecteur à prendre préalablement connaissance des articles additionnels ISRI suivants. Ces articles font parties du dossier complet et abordent l’explication de nombreux concepts indispensables à une bonne compréhension du phénomène de changement :

Changement personnel ISRI - Photo Echiquier
Le salarié dans son entreprise,
un inventeur de manières de faire
(tactiques & stratégies)
Changement personnel ISRI - Photo Desir espoir espéranceAspirations du salarié :
désirs, espoirs, espérance

Jeux, tactiques et stratégies

DEUXIÈME PARTIE : CHAPITRE 3 sur 5

DU BESOIN AUX ASPIRATIONS :

JEUX, TACTIQUES ET STRATÉGIES

Nous nous sommes intéressés jusqu’ici aux liens entre individus, aux projets qu’ils pouvaient mener, aux valeurs qu’ils pouvaient partager. Nous avons pu montrer que ces besoins étaient compris dans les dynamiques relationnelles.

En d’autres termes, le salarié réunit des circonstances nécessaires à la satisfaction de ses attentes pour s’en emparer. Il investit, ainsi, dans la dynamique relationnelle pour en jouer. Dans un deuxième cas de figure, le salarié peut trouver dans les dynamiques relationnelles les circonstances nécessaires à la satisfaction de ses besoins. Sans s’en emparer, il profite, néanmoins, des circonstances qui sont réunies, il les laisse jouer.

L’engagement du salarié semble donc guidé par la satisfaction de ses attentes, de ses besoins.

Or, les besoins à satisfaire n’ont de sens qu’en étroite liaison avec la nature et l’importance que le salarié leur donne. Ce qui suppose de tenir compte d’une certaine hiérarchie des besoins.

En fait, cette hiérarchie des besoins est celle dont la satisfaction permet au salarié de progresser, d’atteindre un état supérieur sans qu’il s’en rende compte. Par exemple, l’adhésion à un projet correspond à un changement de comportement passant de l’intérêt à la participation, entraînant une modification de l’échelle des valeurs.

Ainsi, en se référant à la théorie d’Abraham MASLOW, le salarié trouve, à travers sa participation « les racines de la satisfaction de ses besoins personnels par les contreparties que lui apporte l’entreprise »(1)Maslow Abraham, (Motivation and personality) New York : Harper and Row, 1954 in Tissot Jacques (Marketing /vente), publication de la MIFI (Maison de l’innovation et de la formation industrielle), 1995.

Pour Maslow, la notion de besoin est proche de celle de valeur ; les valeurs sont vues comme des représentations cognitives des besoins. Pour simplificatrice qu’elle soit, la pyramide de Maslow propose une hiérarchisation par émergence. A chaque fois qu’un niveau de besoin est atteint l’homme cherchera à satisfaire le niveau supérieur. Il pose la « réalisation de soi » comme la clef de voûte de toute vie psychique : « un processus de développement personnel, de réalisation de soi, se déclenche chez l’individu et l’anime d’une manière dynamique. »

Mais, pour Paul-Henry CHOMBAT DE LAUWE il serait « vain de parler des besoins des hommes sans tenir compte de leurs aspirations, de leurs intérêts, de leurs systèmes de représentations et de valeurs. »(2)Chombart de Lauwe, Paul-Henry, Pour une sociologie des aspirations, Denoël-Gonthier, 1971, quatrième de couverture.

En clair, ce seraient moins les besoins que nous devrions prendre en considération que les aspirations. Nous envisageons donc compléter immédiatement la notion de besoin selon Maslow par la notion d’aspiration de Chombart de Lauwe. Parce-que, s’ouvrir à la théorie des aspirations permettra de faire ressortir les motivations les plus profondes des salariés, c’est-à-dire leurs désirs, leurs espoirs et leurs espérances.

La satisfaction des besoins-aspirations est donc un élément constitutif de la participation du salarié. Mais, cette satisfaction des besoins-aspirations s’effectue dans les dynamiques relationnelles et leurs articulations.

Ce qui veut dire qu’elle se déroule dans les interactions ; particulièrement sous la forme de dépendances d’intérêts communs et de réciprocité. C’est pourquoi la participation des salariés, au regard des travaux de Norbert ELIAS, peut-être posée en termes de« dépendances réciproques qui lient les individus les uns aux autres. »(3)Elias, N., La société…, op. cit., p.12. : « comme au jeu d’échec, toute action accomplie dans une relative indépendance représente un coup sur l’échiquier social, qui déclenche infailliblement un contrecoup d’un autre individu limitant la liberté d’action du premier joueur. ». Ib., p.13.

Aspirations et dynamiques du changement

1) Aspirations et dynamiques de changement

Jusqu’à présent nous avons rapporté que la raison d’être de l’engagement du salarié est commandée par la recherche de la satisfaction de besoins personnels.
Nous avons été amenés à souligner que les dynamiques relationnelles reliaient (ou pas) les salariés entre eux pour préciser qu’elles représentaient la forme, l’espace, le lieu dans lequel ils pouvaient construire cette recherche de satisfaction.

Nous pouvons, alors, conclure que le salarié investit ou profite des circonstances pour y parvenir, se trouvant ainsi dans une relation de type socio-économique avec les autres salariés, d’une part, et avec l’organisation, d’autre part.

Nous allons maintenant expliciter cette notion de besoin afin de rendre intelligible les processus de satisfaction des salariés au sein même de l’organisation. Il nous semble nécessaire de nous appuyer dans un premier temps sur les travaux du psychologue Abraham Maslow parce-qu’il a centré ses explications de l’activité comportementale sur le rôle fondamental de cette notion de besoin.

Pour lui, les besoins assureraient les orientations de l’individu vers l’obtention de buts spécifiques(4)En résumé, l’humain est vu comme un être se dirigeant vers son plein épanouissement (la réalisation de soi). Cette approche suppose l’existence du Moi et insiste sur l’importance de la conscience et de « la conscience de soi ». Le but serait donc de permettre à tout individu de se mettre en contact avec ses émotions et ses perceptions afin de se réaliser pleinement, c’est-à-dire, atteindre la réalisation de soi. Pour Maslow, le comportement est aussi notre désir conscient de croissance personnelle.Ainsi, Maslow a construit une hiérarchisation des besoins sur cinq niveaux(5)Selon Maslow, les besoins humains sont organisés selon une hiérarchie où, à la base, on retrouve les besoins physiologiques élémentaires et à son sommet, les besoins psychologiques d’épanouissement, sociaux et affectifs d’ordre supérieur. Ce seraient ces besoins qui créeraient la motivation humaine. A la fin de sa vie, Maslow rajoute les besoins spirituels en sixième besoin, tout en haut de sa pyramide suggérant le dépassement de soi.

Nous laisserons de côté le premier niveau, les besoins primaires, lié à des déterminants physiologiques(6)Besoins physiologiques fondamentaux (et biologiques) sont de l’ordre de huit : faim, soif, sommeil (repos), élimination, respiration, sexualité, évitement de la douleur, protection de l’environnement par le logement. En clair, ce sont les besoins dont la satisfaction est importante ou nécessaire pour la survie. pour ne retenir que les besoins secondaires(7)C’est-à-dire : besoins psychologiques, sociaux et affectifs d’ordre supérieur., dont la spécification est la plus intéressante pour la suite de ce travail parce-qu’ils résultent de l’expérience et des habitudes acquises par le salarié dans l’environnement de l’organisation.

Ce qui pousse à agir

2) ce qui pousse à agir

(Des aspirations à la satisfaction des besoins)

Lorsqu’un niveau de besoin est atteint l’individu (l’individu, de manière générale, le salarié, en l’occurrence) cherchera à satisfaire le niveau supérieur. Ce qui signifie qu’à chaque fois qu’un niveau de besoin n’est pas satisfait, le salarié se raccrochera au niveau immédiatement inférieur.

MAIS, la validité de ce classement hiérarchique n’a pu être vérifié en pratique ; comme nous allons le voir, la réalité n’est pas aussi statique. Elle présente des va-et-vient entre les différents besoins.

Cependant, ce classement constitue un instrument méthodologique que McGrégor et Peter Drucker(8)Drucker, Peter, Le Management par objectifs (Management of results), 1964 in Encyclopædia Universalis à Drucker P. ont utilisé pour élaborer la notion de direction par objectifs plutôt que par contrôle.

Ce principe inspirera, aussi, vingt ans plus tard Inglehart dans ses travaux sur le post-matérialisme et Paul-Henri Chombart de Lauwe qui a cherché à établir une sociologie des aspirations. Ce sur quoi nous reviendrons un peu plus loin. Comme eux dans leurs recherches, nous garderons la présentation habituelle sous forme de pyramide de la hiérarchie des besoins de l’homme définis par Maslow car elle facilite notre compréhension initiale et nos interprétations.

Changement personnel ISRI - Schéma Pyramide de Maslow
Échelle de la hiérarchie des besoins selon Maslow dite « pyramide » de Maslow
(cliquez sur l’image pour l’agrandir)

La pyramide de Maslow nous permet de situer dans sa hiérarchisation, les besoins des salariés-individus. Pour nous expliquer nous aborderons la notion de confiance ; parce-que nous avons pu constater dans nos prestations ISRI que la satisfaction des différents niveaux de besoins de cette hiérarchisation se déroule chez le salarié dans un climat de confiance et aboutit à un résultat efficace en terme de quantité, qualité et délai.

De plus, la confiance semble être un supra besoin, une condition à satisfaire réciproquement d’autres besoins. Ce qui va nous permettre d’élargir nos interprétations sur des besoins dont la satisfaction conditionne d’autres besoins.

La confiance est un élément souvent énoncé par les salariés lors de nos entretiens sur le terrain dont nous pouvons donner deux interprétations des conditions de sa réalisation.

L’une à connaissance consciente, sanctionnée par les attentes fondées du salarié, par exemple, la reconnaissance d’un projet mené.

L’autre qualifiant un certain type de rapports humains. Par exemple, une forme d’amitié bienveillante autorisant des liens de solidarité sans obligatoirement aller jusqu’à l’intimité.

La confiance s’établissant par le moyen d’échanges particuliers (obligations, solidarité, par exemples) définies par des relations asymétriques que chacun occupe dans l’organisation. L’une et l’autre de ces explications conduisant le salarié, dans l’organisation, à satisfaire un besoin relationnel.

Pour résumer, si un climat de confiance est présent (satisfait) il devient possible de s’engager (mais pas obligatoire ! D’autres éléments peuvent jouer, nous allons le voir) dans un (des) projet(s) et/ou rendre possible la satisfaction d’un besoin de lien social lui même basé sur la recherche de satisfaction d’un besoin d’échanger. C’est au fond l’argument de Maslow : satisfaire un niveau de besoin afin de pouvoir passer à un niveau de besoin supérieur.

Mais réciproquement, cet échange est aussi attente. Le salarié attend de celui avec qui il est en interaction qu’il agisse dans un cadre définit par sa position, son rôle, celui de supérieur hiérarchique ou de collègue de travail, d’adjoint ou de collaborateur, par exemple.

Ainsi, la relation d’échange devient indispensable pour comprendre le phénomène de changement parce-que sa réciprocité est conditionnée par la condition de confiance en tant qu’elle est attente, vis à vis de l’autre, du respect des règles connues des deux. La confiance comme une assurance, en quelque sorte ; l’assurance du respect des règles.

C’est la raison pour laquelle le rejet des règles exclut celui qui se rendrait coupable de transgression. Nous voyons là une sorte de « code interne » du comportement. Mais si les relations entre les salariés peuvent être réglées par l’échange basée sur la confiance, peut-on les comparer aux relations entre micro-groupes (les services, les équipes, les bureaux) ?

Ainsi, si les besoins de sécurité psychologique de la pyramide de Maslow (niveau 2)(9)Besoins économique, physique comme la protection, le confort, l’absence de menace, l’environnement organisé, etc. « ne peuvent pas être la base d’une motivation profonde et prolongée »(10)Tissot Jacques, Consultant, livre Marketing /vente 1995, publication de la MIFI (Maison de l’Innovation et de la Formation industrielle), l’originalité de l’environnement organisé de l’entreprise peut être situé à un autre niveau de cette hiérarchisation, précisément au niveau 3 : « besoins sociaux, besoins d’appartenance ».

Prestation - Supervision ISRIParce-que nous avons souvent relevé dans nos accompagnements ISRI que ce que semble voir le salarié de son organisation est une réponse à ses besoins d’appartenance à un groupe (le service, le bureau, l’équipe, l’agence…), c’est-à-dire à des micro-groupes(11)Michel Maffesoli parle de « tribus » : « le tribalisme rappelle, empiriquement, l’importance du sentiment d’appartenance, à un lieu, à un groupe, comme fondement essentiel de toute vie sociale. ». Maffesoli, Michel, Le temps des Tribus, La table ronde, 2000, p.XII.

Paul-Henri Chombart de Lauwe, quant à lui, parle d’unité de vie sociale : « l’unité de vie sociale est une unité de vie quotidienne, une unité d’usage, une unité de relation […] Elle a une existence. » Chombart de Lauwe, P.-H., op. cit., p.128, voire à l’organisation toute entière aussi ou seulement.

A plusieurs reprises, au moment des entretiens que nous avons eu l’occasion d’effectuer dans les entreprises, les salariés ont exprimé cette appartenance. Dans certains cas, c’est l’étiquette du métier exercé qui autorise un sentiment d’appartenance.

A partir de là, nous pouvons voir cette appartenance micro-groupale (que d’autres appelleraient tribale(12)Michel Maffesoli a proposé la métaphore de la « tribu » pour prendre acte de la métamorphose du lien social (Maffesoli, M., Le temps…, op. cit. p.III).ou unité de vie sociale) comme un « idéal communautaire »(13)Maffesoli, M., Le temps…, ib. p.XII., une reconnaissance à satisfaire.

Cette « organisation communautaire idéale » permet, dès lors, une double communication : intra-groupes (de salarié à salarié) et inter-groupes (d’un service à un autre service ou d’une équipe à une autre équipe, par exemple).

Ainsi, le besoin de relation ne se limiterait pas seulement à la satisfaction d’un besoin d’échange mais s’élargirait sur un besoin de communication en tant qu’échange. Notamment à partir de l’idée de réciprocité et de dépendance de l’échange. Il ne s’agit donc pas, ici, de communication en tant qu’elle puisse être émission – canal de transmission – réception – feed back. Ce qui veut dire au fond, la satisfaction des besoins d’échanges et de communication fusionnent pour satisfaire un besoin de relation.

Sur cette idée, John Adair(14)ir John, Le leader, homme d’action, Top, 1991 in Chibber, M.L., Leadership, Sai, 1998, p.40 ne distingue plus le but d’un projet et l’individu. Il inventorie les besoins de chaque projet selon trois orientations intimement liées :

  1. les besoins du projet, c’est-à-dire, définir, organiser, attribuer les tâches, contrôler la qualité et le rythme,
  2. les besoins du groupe, c’est-à-dire, être un exemple personnel, discipline, esprit d’équipe, motivation, responsabilisation, communication, formation du groupe et
  3. les besoins individuels (valorisation, connaissance de chacun, utilisation des capacités personnelles, formation).

Une telle fusion comprend entre autres : l’institutionnalisation du dialogue, une définition précise des tâches, une information rigoureuse, la fixation d’un ordre de distribution de celles-ci, le renouvellement de certaines fonctions.

Changement personnel ISRI - Photo communication-échange

Schéma de la fusion des besoins pour une communication en tant qu’échange

Ce schéma fait apparaître que les relations au sein des organisations s’inscrivent dans une interaction satisfaisant les besoins de communication en tant qu’échange des salariés.
Cette interaction, consiste en une multitude de situations où les salariés sont plus ou moins positionnés et/ou en attente/recherche de participation.

Simultanément, ces comportements prévoient évidemment l’élaboration d’un « code externe » définissant les rapports du groupe (le bureau, le service, l’équipe, l’agence, le site…) avec l’ensemble de l’organisation voire avec l’extérieur (clients, partenaires, relations, organismes financiers…).

Changement personnel ISRI- Photo Faire le pointLes points importants sont :

  1. reconnaître, ici, le caractère interactif du groupe et
  2. susciter aux salariés un comportement qui se conforme à ces codes (internes et externes). Suscitation exercée par le truchement de valeurs englobantes, celles de l’organisation, d’où l’importance de l’existence de valeurs fortes notamment fondatrices.

Pour exprimer différemment ce dernier point, même s’il y a une distinction de l’organisation en plusieurs groupes (services, équipes…) qui suivent leur propres règles et qui ont une certaine autonomie les unes vis-à-vis des autres, l’image perçue des valeurs de l’entreprise a la pouvoir d’intervenir et d’influencer les relations à l’intérieur de l’organisation et des groupes. Ceci étant possible parce-que les besoins sont satisfaits dans le cadre d’échanges fondés sur une relation de confiance de qualité (code interne) dans une structure qui donne les moyens, forme une contingence, pour que cet échange existe (valeurs englobantes).

Si nous avons mis en évidence une corrélation entre la structuration en groupes de l’organisation et un « idéal communautaire » dans les groupes (qui, par déviance, peut engager une « guerre des services »), elle nous permet seulement de la voir en tant que psychologie de métavaleurs et métabesoins(15)Cf. la pyramide de Maslow. Si nous nous arrêtons au point 4 de la pyramide c’est parce-ce que Maslow croyait que c’est précisément à ce type de besoin que la majorité des gens s’arrêtent. A fortiori, nous n’aborderons pas le point 5. D’autant que pour lui la réalisation de soi (qu’il appelle aussi actualisation) n’est jamais complètement atteinte et toujours à rechercher davantage. du salarié : la confiance, les échanges, la communication.

Ainsi, par là même, le salarié pourrait être vu plus passif qu’actif. C’est-à-dire, qu’il pourrait être considéré dans ses changements uniquement au travers de choix successifs liés à des intérêts plus ou moins grands.

Or, nous l’avons constaté particulièrement actif dans ses changements lors de nos prestations ISRI. Ceci s’est présenté dans les entretiens lors de situations où un même besoin peut s’énoncer, s’affermir et s’opérer graduellement.

Ici, se pose, donc, le problème de la satisfaction des besoins du salarié ou plus exactement la réalisation de ses aspirations. Nous voulons dire par là, l’espérance de voir se réaliser ses aspirations.

Chombart de Lauwe définit l’espérance en tant qu’elle : « correspond à une attitude globale de tout l’être qui, au delà des désillusions et des espoirs déçus, garde une raison de vivre malgré les échecs qu’il rencontre »(16)Chombart de Lauwe, Paul-Henri., Pour une sociologie des aspirations, Denoël-Gonthier, 1971 p.36. De même qu’il a défini l’espoir : « L’espoir est une attente du maintien d’un état auquel on attache une grande valeur, de la réalisation d’une situation nouvelle pour soi-même ou pour un groupe plus ou moins large auquel on appartient. L’espoir est lié au soucis, à la contrainte, à la préoccupation dont on veut sortir, à la peur de perdre ce que l’on possède et en même temps à l’avènement d’un ordre nouveau de conditions nouvelles dans lesquelles une plus grande liberté sera réalisée. » Chombart de Lauwe, P-H., Pour une sociologie…, ib., p.35-36.

Espérance qui est donc (en même temps qu’elle permet) une dynamique à connotation positive (en l’occurrence l’engagement, la motivation) et autorise le salarié à s’engager, c’est-à-dire à faire évoluer ses attitudes et comportements. En un mot, changer !

Autrement dit, les aspirations peuvent jouer un rôle dans l’évolution des relations à l’intérieur d’un groupe voire dans toute l’entreprise.

Mais alors qu’est-ce qui motive ces aspirations ?

Pour suivre Maslow, c’est la satisfaction des besoins du niveau 4(17)Besoin d’indépendance, d’autonomie, d’estime (de soi et des autres), par exemple la reconnaissance et le prestige, la compétence, etc., c’est-à-dire la « valorisation de l’individu » en tant que tel, et non pas dans le but de s’approprier la « fidélité » du salarié. qui va permettre de motiver le salarié.

Petite astuce à l’usage du responsable du changement :Prestation - Supervision ISRICe besoin utilise des moyens comme l’implication dans la prise de décisions, des projets, donner la possibilité d’être fier de ce qu’on fait, de ce qu’on est, de se sentir capable de réussir ce qu’on entreprend, d’être respecté par les autres, d’être apprécié, reconnu, etc.Dans cet objectif, il faut se demander comment vos salariés expérimentent leurs propres valeurs comme objectif de changement. Ici, nous pouvons faire place à une vision globale des aspirations, qui inclut, non seulement les aspirations matérielles, mais également les aspirations sociales et de pouvoir. En substance :

  • sur le plan matériel, le salarié changeant aspire à des conditions matérielles qui développent ses possibilités de développement personnel
  • sur le plan social, le salarié souhaite l’estime, la reconnaissance de son engagement et de ses efforts, l’amitié, ainsi qu’un climat humain environnemental positif, de confiance ;
  • sur le plan du pouvoir, le salarié souhaite comprendre ce qu’il fait, participer à l’orientation de ses activités, à leur organisation ainsi qu’au contrôle des résultats de son ouvrage.


Maslow(18)Maslow, A.H., Motivation…, op. cit. Cf. aussi notamment Argyris, Chris, Participation et organisation, Dunod, 1970. affirme qu’une fois les aspirations satisfaites, « un processus de développement personnel, de réalisation de soi, se déclenche chez l’individu et l’anime d’une manière dynamique. » Celui-ci entre alors dans la maturité et adopte un comportement d’adulte.

C’est ce que nous avait suggéré, sur le plan philosophique, Nietzsche dans « les trois métamorphoses »(19)Voir le premier chapitre qui pose le problème et que nous adaptons dans ce travail pour la cohérence de notre interprétation.

Le salarié (l’enfant de Nietzsche, c’est à dire l’adulte en devenir) est capable d’agir sur la réalité extérieure et maîtriser son environnement ; il soumet son action à l’épreuve des faits ; il unifie sa personnalité par son œuvre ; il n’y a plus d’écart entre le réel et la vision qu’il en a, il n’y a plus d’écartèlement entre ses aspirations et son ouvrage.

Le salarié est alors capable de construire, de créer ; et cette capacité est essentiellement dynamique. C’est ainsi que le salarié, qui remplit une mission volontairement choisie (en conséquence, dont il s’est rendu responsable), entre dans un processus de développement continu : il fixe plus haut l’objectif suivant et ainsi de suite jusqu’à la pleine utilisation de ses possibilités(20)Cf. la pyramide de Maslow.. Il change !

De la même manière, les conditions du comportement de maturation (maturité) se ramènent à la notion de responsabilité. Pour paraphraser Nietzsche : l’homme qui ne peut être responsable risque de ne jamais devenir un adulte, mûrir (évoluer donc changer).

Mais, l’exercice de la responsabilité suppose une certaine autonomie, une liberté dans le choix des moyens, une compétence suffisante et une possibilité de la développer, un certain contrôle sur les résultats de son travail.

Changement personnel ISRI- Photo Bon à savoirDans nos entretiens, sur le terrain, ces différents points de liberté, autonomie et responsabilité (qu’il faut comprendre, ici, en tant que choix), sont apparus de façon récurrentes. Ainsi, dans leur engagement, les salariés constatés changeants, font ressortir l’absence de divergence entre les aspirations personnelles et les possibilités offertes par l’organisation et les projets menés par leur service ou leur équipe. Ce qui témoigne de l’adéquation ou de l’influence de l’organisation de l’entreprise, d’une part ; celle des représentations du salarié et des systèmes de valeurs(21)Chombart de Lauwe précisant : « Les groupes poursuivent un but en fonction […] d’ensembles de représentations, de systèmes de valeur. Pour les individus, […leur] accomplissement n’est possible que dans […] des groupes auxquels [il] participe et dont il partage plus ou moins les aspirations. » Chombart de Lauwe, P.-H., Pour une sociologie…, op. cit., p.18.du service ou de l’équipe, d’autre part.


Il est dès lors possible de faire un premier inventaire des besoins-aspirations du salarié changeant : reconnaissance et appartenance, autonomie et liberté, responsabilité.
Ces besoins-aspirations correspondent, dans nos prestations ISRI, soit à des éléments extérieurs, comme l’image, la notoriété de l’entreprise ou la liberté de choisir sa participation à un projet ; soit à des éléments subjectifs, tels la perception, le raisonnement et l’action de manière à transformer une situation existante ; soit les deux : extérieurs et subjectifs.

Paul-Henri Chombart de Lauwe suppose l’intégration sociale par une « aspiration à la considération » et « un besoin de ne pas être déconsidéré. »(22)Chombart de Lauwe, Pour une sociologie…, op. cit., p.16

A la reconnaissance se superpose « une aspiration à passer à un état jugé par lui [(le salarié)] supérieur, à obtenir des objets ou un statut auquel il ne pouvait pas jusqu’ici prétendre. »(23)Chombart de Lauwe, Pour une sociologie…, ib. Nous permettant de relever, dans notre hypothèse, « plus le salarié accède à un statut d’individu. »

Les aspirations du salarié changeant sont orientées par des images, des symboles liés à des représentations. En d’autres termes, les besoins sont des pulsions et les aspirations des désirs(24)« Le désir est un mouvement de l’être vers un objet que l’on ne possède pas, ou de conservation et de développement d’un bien que l’on possède. Spinoza le présentait comme « un appétit accompagné de la conscience de lui-même ». Mais cette conscience peut être claire ou confuse. […] La tendance qui correspond au désir peut porter le sujet […] vers un état vague évoqué à travers des images parfois très flous. Dans ce cas le désir n’a pas de limite. » Chombart de Lauwe, P-H., Pour une sociologie…, ib., p.35., des souhaits.

Les uns, venant du salarié lui-même ou par rapport aux pressions environnementales, les autres, sont tournés vers un but.

Pour mieux l’exprimer : un projet d’avenir qui prend forme à partir de besoins non satisfaits d’une part, c’est-à-dire de « l’attraction vers des objets perçus, représentés ou imaginés »(25)Chombart de Lauwe, Paul-Henri, La culture et le pouvoir, L’Harmattan, 1983, p. 272., et d’autre part, qui fournit des buts au salarié en tant que sujet-agent individuel et social.

Buts formés, entretenus et réalisés en interaction avec l’environnement de l’organisation. C’est-à-dire, le milieu particulier du corps de métier de l’entreprise qui « fournit l’univers des symboles et des valeurs par lesquels s’élaborent, s’expriment et se diffusent les aspirations chez les personnes et dans les collectivités »(26)Rocher, Guy, Pour une théorie psychosociologique des aspirations, dans Bélanger, P.W. Rocher, Guy et coll.., Le projet A.S.O.P.E. : son orientation, sa méthodologie, sa portée sociale et ses réalisations, Les Cahiers d’A.S.O.P.E., vol. VII, PUL, 1981, p.52 (en l’occurrence l’association).

Ce milieu étant « à la fois le milieu qui provoque l’éclosion des aspirations, qui les entretient et les diffuse, et aussi le lieu de leur réalisation ou de leur frustration. »(27)Rocher, G., Pour une théorie…, ib. p.52.

En ce qui concerne plus spécifiquement les aspirations individuelles, nous pouvons définir celles-ci comme des projets que forment les salariés (quelquefois formulent) et qui les motivent précisément à poursuivre leurs projets.

A retenir ISRIEn clair, le terrain a révélé que le salarié satisfait de ses aspirations au présent pourra ne pas aspirer aller plus loin dans ses projets. Cette traduction s’effectuant dans le but de s’assurer une socialisation ou encore de développer des aptitudes, à moins que ce besoin ne paraisse trop grand au salarié, trop difficile à réaliser.

Mais à l’inverse, comme l’exprime Guy Rocher, « le milieu socioculturel présente aussi des contraintes, des obstacles, des empêchements aux aspirations. » Ainsi, la nécessité d’obtenir un écho à ses désirs constitue une de ces contraintes à l’élaboration ou au maintien de ses aspirations.

C’est en cherchant les qualités heuristiques de ce concept d’aspiration autour duquel peut s’organiser les interrelations que nous avons tenté une interprétation du rapport entre le salarié et ses représentations. Dans ce que nous avons relevé de nos prestations, c’est que l’aspiration est participation. A partir de là, elle est révélatrice de rapports entre le salarié et l’organisation.

Alors, même si le salarié porte un intérêt au cadre de son corps de métier dans l’organisation, pris dans son sens le plus large, son intérêt personnel peut être tourné aussi bien vers des activités, bien sûr en dehors ses activités professionnelles, mais aussi, culturelles ou philanthropiques, c’est-à-dire, désintéressées.

Mais n’oublions pas qu’un intérêt porté dépend de la valeur attribuée. Par cela, le salarié devient changeant. C’est-à-dire « à travers les choix successifs liés à des intérêts plus ou moins grands, dans des situations différentes, une même aspiration peut se préciser, se fixer et se réaliser progressivement. »(28)Chombart de Lauwe, P-H., Pour une sociologie…, op. cit., p.19.

A retenir ISRINous venons de voir que les aspirations des salariés se rattachent au désir et à la valeur en liaison avec la représentation. La réalisation des aspirations doit nécessairement s’effectuer dans une mise en projet. Cette mise en projet leur permet de participer à la vie de l’organisation. Participation caractérisée par des interactions et des interrelations sociales.

A partir de ce cadre d’analyse, du terrain et nous appuyant sur ce que nous avons développé précédemment, nous pouvons légitimement déduire que les aspirations des salariés se modifient en fonction de trois notions qui peuvent paraître au premier abord successives mais qui sont, en fait, entièrement liées entre elles : « les désirs, les espoirs et l’espérance »(29)« Les aspirations pourraient se situer apparemment sur trois plans successifs, suivant la distance et la nature des objets vers lesquels elles tendent : les désirs, les espoirs et l’espérance. » Chombart de Lauwe, P-H., ib., p.35.

Plus précisément, sur le terrain, nous avons relevé :

  1. le désir de reconnaissance et d’appartenance à un groupe,
  2. l’espoir de développer un projet en relation avec une histoire individuelle et
  3. l’espérance d’être ou de conserver un état d’être pour « garder une raison de vivre malgré les échecs rencontrés. »(30)Chombart de Lauwe, Pour une sociologie…, ib., p.36.

Nous avons écrit, par ailleurs, un article sur une interprétation possible de ces trois notions :

Changement personnel ISRI - Photo Desir espoir espéranceAspirations du salarié : désirs, espoirs, espérance


Faisons un point sur les besoins-aspirations

3) Les besoins-aspirations, une dynamique circulaire

Changement personnel ISRI- Photo Faire le pointFaisons un point !

Pour faire le point sur ce qui a été écrit jusqu’ici nous dirons : bien que la théorie de Maslow sur les besoins humains puisse servir de base, les notions abordées nous permettent surtout de retenir que le comportement du salarié est l’aboutissement d’un entremêlement qui lie besoins-aspirations et représentations.

Par conséquent le fait de repérer des motifs comme : s’engager, participer, se motiver, suivre un projet, etc. invite les salariés à reformuler les représentations dans un nouveau système de valeurs pour régler les éventuelles discordances. Ce qui permet la mise en œuvre de projets communs.

Ainsi, une vie collective harmonieuse au sein d’une organisation ne peut exister que si les besoins-aspirations et les objectifs individuels y trouvent un degré suffisant de satisfaction et d’accomplissement ; et il ne peut y avoir un degré suffisant de satisfaction des objectifs individuels que si les micro-groupes que les salariés forment (leur bureau, leur service, leur équipe…), et dont ils entretiennent le fonctionnement par leur propre action, doivent être constitués de telle sorte qu’ils n’engendrent pas de tensions destructrices.

Par ailleurs, « c’est le processus psychosociologique par lequel un sujet désirant est attiré ou poussé vers un objet proche ou éloigné dont il prend conscience à travers des images, des représentations, des symboles et qui contribue à définir et à orienter ses projets. »(31)Chombart de Lauwe, La culture et le pouvoir, Stock, 1975.

Au fond, il s’agit de dynamiques circulaires que nous avons eu a interpréter jusqu’ici !

En clair, les motifs pour rejoindre une organisation sont multiples et divers,bien que souvent ils soient exprimés par la fonction, le corps de métier ou la notoriété de l’organisation. Au sein de l’organisation naît alors chez le salarié des besoins-aspirations liés à des désirs, espoirs et espérances eux-mêmes dépendant des valeurs-représentations préalablement intériorisées (histoire individuelle) ou englobantes (à partir des valeurs de l’organisation).

Si un besoin-aspiration est satisfait alors il y a naissance d’un nouveau besoin-aspiration d’ordre supérieur (Maslow) qui, à son tour, est à satisfaire (circularité).

Si le besoin-aspiration n’est pas réalisé le salarié atteint un premier seuil d’aspiration. Alors, il pourra soit créer un nouveau besoin-aspiration d’ordre inférieur (circularité), soit disparaître lorsque le seuil d’aspiration est ultime (démission), soit résister à l’organisation, par exemple.

Ce qui nous amène à proposer un schéma récapitulatif révélant cette circularité dynamique de la théorie des besoins-aspirations des salariés dans une organisation

Changement personnel ISRI- Circularité des besoins-aspirations

Schéma générique de la circularité des besoins-aspirations des salariés
et des groupes (équipes, bureau…) dans une organisation (cliquez pour agrandir)

Mais, si les aspirations peuvent jouer un rôle dans l’évolution des relations à l’intérieur d’un groupe et participe par là du changement du salarié, nous avançons que sa participation pouvait être posée en termes de dépendances réciproques (Elias), de présentation de soi (Goffman) et de manières de faire (Certeau). C’est ce que nous allons décortiquer maintenant.

Lire la suite…

Pour en savoir +

Notes de l`article   [ + ]

Mai 052013
 

COMPRENDRE LE CHANGEMENT :
Le salarié dans son entreprise,
un inventeur de manières de faire

Article complémentaire au dossier sur le changement personnel, deuxième partie (#2.1).

Changement personnel - Photo Certeau

Michel de Certeau, dans la première partie de « L’invention du quotidien », entame une importante recherche née, précise-t-il, « d’une interrogation sur les opérations des usagers, supposés voués à la passivité et à la discipline. »(1)Certeau, Michel (de), L’invention du quotidien 1. arts de faire, Gallimard, coll. Essais, 1990, p.XXXV

 

Ce que propose de Certeau

Ce que propose de CERTEAU

Ce que propose Certeau, c’est « d’exhumer les formes subreptices que prend la créativité dispersée, tactique et bricoleuse des groupes ou des individus »(2)Certeau, M., L’invention…, ib., p.XL qui, « par leur manière de les utiliser à des fins et en fonction de références étrangères au système »(3)Certeau, M., L’invention…, ib., p.XXXVIII, « subvertissent » les productions ou les représentations imposées par une contingence.

Changement personnel ISRI - Photo EchiquierNous allons donc nous attacher a découvrir les types de logiques spécifiques exercées au sein d’une organisation et les ruses anonymes, les habiletés « inventées » au coup par coup dans les interrelations : les  TACTIQUES.

« J’appelle tactique l’action calculée que détermine l’absence d’un propre. […] La tactique n’a pour lieu que celui de l’autre. Aussi doit- elle jouer avec le terrain qui lui est imposé tel que l’organise la loi d’une force étrangère. Dossier Changement Définition ISRIElle n’a pas le moyen de se tenir en elle même, à distance, dans une position de retrait, de prévision et de rassemblement de soi : elle est mouvement « à l’intérieur du champ de vision de l’ennemi », comme le disait von Bülow, et dans l’espace contrôlé par lui. Elle n’a donc pas la possibilité de se donner un projet global ni de totaliser l’adversaire dans un espace distinct, visible et objectivable. Elle fait du coup par coup. Elle profite des « occasions » et en dépend, sans base où stocker des bénéfices, augmenter un propre et prévoir des sorties. Ce qu’elle gagne ne se garde pas. Ce non-lieu lui permet sans doute la mobilité, mais dans une docilité aux aléas du temps, pour saisir au vol les possibilités qu’offre un instant. […] En somme, c’est un art du faible. »(4)Certeau, M., L’invention…, ib., p.60,61

Par suite, nous prendrons appui sur les concepts d’usages, de stratégies et de tactiques de Certeau.

Nous nous intéressons à ces concepts parce-qu’ils permettent d’aborder le phénomène de changement dans les différentes situations comme une inventivité incessante de certains salariés, par exemple. Cette inventivité, plus ou moins inconsciente, devrait nous mener au cœur même des raisons des changements parce-qu’elle est susceptible d’autoriser des « arts de faire » dans les relations, les rendant dynamiques relationnelles.

Pour exemple faisons une analogie, les pratiques de « bricolage » qui relèvent des nouvelles technologies produisent une écriture particulière favorisant une lecture rapide, signalétique et une mise en page dont la typographie est image.

Cette écriture particulière produit à son tour une lecture particulière qui fonctionne comme un espace ouvert à l’inventivité. Donc, un « propre » de modèles et de relations.
Cette écriture particulière semble, par là, traiter de la dimension sociale dans lequel se trouve inscrite une pratique symbolique (un graphisme) qui structure la fabrication d’un sens (une intention, un imaginaire ou à une représentation des normes) et la met en valeur.

Selon Certeau, ce « propre » est le préalable à l’élaboration d’une stratégie(5)« le calcul des rapports de forces qui devient possible à partir du moment où un sujet de vouloir et de pouvoir est isolable d’un « environnement ». Elle postule un lieu susceptible d’être circonscrit comme un propre et donc de servir de base à une gestion de ses relations avec une extériorité distincte. » (Certeau, M., L’invention…, ib. p.XLVI).. Il a montré comment il y a un « geste » qui distingue un lieu autonome, un « propre », qui permet de capitaliser les avantages acquis et de préparer des expansions futures : « l’enfant gribouille encore et tache son livre d’école ; même s’il est puni de ce crime, il se fait un espace. »(6)Certeau, M., L’invention…, ib., p.53

Il implique donc un contrôle du lieu par le biais d’une « pratique panoptique »(7)Certeau, M., L’invention…, ib., p.60 qui permet de le contrôler en le transformant.
Le lieu circonscrit comme un « propre » sert alors de base pour gérer des relations, une communication et fixer des stratégies qui les transforment en espaces lisibles. Par exemple, « l’acte de dire est un usage de la langue et une opération sur elle. »(8)Certeau, M., L’invention…, ib., p.56

A retenir ISRILa tactique s’inscrit dans le lieu de l’autre(9)« La tactique n’a pour lieu que celui de l’autre. » (Certeau, M., L’invention…, ib., p.60).. Ce qui nous permet de regarder les actions du salarié en tant qu’elles sont des tactiques, c’est-à-dire des actions calculées que détermine l’absence d’un « propre », mouvements dans un espace contrôlé par autrui.

C’est un art de jouer des coups, de saisir l’occasion : « [la tactique] fait du coup par coup. Elle profite des « occasions » et en dépend. »(10)Certeau, M., L’invention…, ib., p.61 Autrement dit, « un calcul qui ne peut pas compter sur un propre. »(11)« Le « propre » est une victoire du lieu sur le temps. Au contraire du fait de son non-lieu, la tactique dépend du temps, vigilante à y « saisir au vol » des possibilités de profit. Ce qu’elle gagne, elle ne le garde pas. » (Certeau, M., L’invention…, ib., p.XLVI).

Il est remarquable que les termes de « tactique » et de « stratégie », entendus dans le sens certausien, sont antonymes, mais pas véritablement antinomiques : une manière d’agir pour atteindre un objectif, pour l’un, une connaissance portant sur les différentes manières d’agir, c’est-à-dire un « art de combiner et de coordonner diverses actions pour atteindre un but »(12)Dictionnaire Robert, Micro Poche, tome II, 1986, pour l’autre.

D’un point de vue individuel, l’usage de ces pratiques serait alors un art d’être et de faire circonstanciel, une tactique conduisant l’individu dans une autodidaxie dont on devine le rapport au monde et à soi propice aux changements.

Elle serait avant tout une construction de détours et contours, toujours substitution de règles de contrainte.

Découvrir cette réinvention du quotidien exercée par le salarié doit permettre de marquer son acculturation, ses innovations et le préparer à son changement.

Autrement dit, repérer et décomposer les stratégies ou les tactiques adoptées par les salariés devrait nous permettre de comprendre le phénomène de changement aussi bien au travers de son identité personnelle que de son identité sociale prise au jeu des interactions avec l’organisation (le service, l’équipe…).

En même temps et en poussant ce raisonnement, cela nous permet lors de nos prestations de dégager trois points :

  • l’expression de sa personnalité,
  • son image du micro-groupe (nous traduisons : le lieu symbolique où il veut s’installer) et
  • son acculturation qui s’accompagne d’actions symboliques (usages, jeux, ruses, tactiques par des potentiels d’imagination et de créativité) destinées à consacrer son changement.

La variété des changements constatés enrichit, dès lors, notre compréhension du phénomène. L’examen des transformations, des changements qui affectent tour à tour les valeurs, les conduites et les systèmes de pensée permettent ainsi la description des conditions de leur apparition, leur fonctionnement et leur éventuelle disparition.

Trois catégories pour décliner la figure du salarié

Trois catégories pour décliner la figure du salarié

Prestation - Supervision ISRIA partir des thèmes abordées dans les recherche de M. de Certeau, nous avons souvent demandé sur le terrain que chacun explicite ce que lui procure sa participation dans son micro-groupe (son équipe, son bureau, son service, son centre, son agence…). Ces perceptions nous ont permis d’identifier des comportements divergents.

La diversité de ces divergences, à leur tour, nous a permis d’envisager un classement. Ainsi, nous avons considéré trois catégories de salariés qui correspondent à trois grandes manières de décrire la participation :

  • le salarié actif ou « philanthrope »,
  • le salarié passif ou « pharisien-prestige »,
  • le salarié actif-passif et le salarié passif-actif ou « synallagmatique ».

1) Le salarié philanthrope :

Le Philanthrope est rare. Il est celui qui aide les autres bénévolement, fraternellement, spontanément, sans contrepartie, par foi, simplement. C’est un actif au sein de l’organisation. Il a besoin de cette action. On le retrouve syndicaliste, ou actif au Comité d’Entreprise, par exemple.

Mais son attitude n’est pas toujours constante parce qu’elle constitue une contribution ponctuelle à l’organisation. En fait, son comportement altruiste est limitée dans le temps et se repère seulement par bribes, par « coups d’éclats ».

Il se rapproche dans ses attitudes relationnelles à celles du don. Il est d’une relative stabilité familiale et professionnelle.

2) Le salarié pharisien-prestige :

Celui qu’on appellera « le Pharisien-prestige » cherche dans ses relations quelque chose de précis, pas nécessairement la pratique de son métier, mais, plutôt, répondre à un besoin de reconnaissance.

Ce besoin s’appuie sur la nécessité de connaître voire d’appartenir au corps de métier dont la caractéristique principale, pour « celui qui n’en fait pas partie », est l’image du « prestige », pour lui.

Une première réflexion pourrait nous faire le qualifier « sous le nom pudique de consommateur »(13) Certeau, M. (de), l’invention…, op. cit., p.XXXVI.

En fait, c’est un « passif/passif » dans sa participation au dynamisme général de l’entreprise même si c’est un actif pour lui-même. Il est persuadé de faire quelque chose pour les autres, en fait, il le fait pour lui d’abord : sa mobilisation repose sur la reconnaissance qu’il espère en lien avec sa motivation essentielle qui repose sur la reconnaissance qu’il obtient. Bref, un pharisien. C’est-à-dire « celui qui présente comme conforme à l’intérêt général ce qui est avant tout de son intérêt. »(14)Boudon, Raymond, La théorie des valeurs de Scheler vue depuis la théorie des valeurs de la sociologie classique, Travaux du Gemas n°6, 1999 p.7

Il sait ce qu’il veut même s’il ne le formule pas clairement : s’aider lui-même au succès de sa propre démarche de reconnaissance (« pour être dans le monde », nous dirait Louis Dumont(15)« Pour être dans le monde », nous dirait Louis Dumont : Individu-dans-le-monde / Individu-hors-du-monde : « L’individu, s’il est « non social » en principe, en pensée, est social en fait : il vit en société, « dans le monde ». En contraste, le renonçant indien (Indes) devient indépendant, autonome, un individu, en quittant la société proprement dite, c’est un « individu-hors-du-monde » ». Dumont Louis, Homo aequalis, 1976.), et peut facilement quitter l’entreprise lorsque sa demande est satisfaite. Oui, oui, vous lisez bien, lorsque sa demande de reconnaissance est satisfaite !

3) Le salarié synallagmatique :

C’est le type de salarié le plus fréquemment rencontré dans nos prestations (7 fois sur 10). Il « marche au donnant-donnant ». L’entraide mutuelle, lui, il connaît ! Il donne avec toujours le secret espoir d’un retour : « Je donne si tu m’as déjà donné ou si je suis quasiment sûr que tu me rendras ». Il s’agit là d’une attitude synallagmatique. C’est la raison pour laquelle nous lui avons attribué ce nom.

Il semblerait qu’il cherche à répondre à un besoin de relations qui s’appuie sur celui d’appartenance à un groupe qui le reconnaît. Il y parvient à communiquer, échanger, partager, développer des projets avec les autres par système « d’ancrage » et de « mobilisation ».

On distinguera deux profils de Synallagmatique :

le « Synallagmatique passif-actif » que nous appellerons « Synallagmatique-copain »(16) Forme de l’ancien français compain, « avec qui on partage le pain ». C’est un camarade que l’on aime bien. (Dictionnaire usuel du français, Hachette, 1989). Sachant qu’un camarade est une personne avec qui on partage certaines occupations et qui de ce fait devient familière. Le Larousse de poche de 1978 nous dit : « Compagnon de travail, d’étude, de chambre » et le Quillet de 1971 « Celui qui vit familièrement avec un autre ». Il échange en s’arrangeant de prendre plus que ce qu’il est prêt à donner. Il peut exprimer ce qu’il voudrait faire pour les autres mais avancera des excuses pour ne pas les faire. Il est, dans l’idée, relativement proche du Pharisien-prestige.

le « Synallagmatique actif-passif » ou « Synallagmatique-ami« . Un ami n’est-il pas une personne avec qui l’on a des affinités, proche, intime ? « Qui a de l’attachement pour » nous dit le Quillet de 1971.

C’est un sentiment partagé, réciproque. Lacordaire (Henri-Dominique, abbé) ne disait-il pas : « L’amitié est le plus parfait des sentiments de l’homme parce-qu’il est le plus libre, le plus pur et le plus profond » ? Et Montaigne à propos de la Boétie : « Si on me presse à dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne peut s’exprimer qu’en disant : « Parce-que c’était lui, parce-que c’était moi » » ?

Le Synallagmatique-ami échange en donnant plus qu’il ne prend. Il exprimera ce qu’il fait réellement pour les autres mais gardera à l’esprit ce « retour des choses » qui équilibre ses rapports. Ceci dit, les comportements et les attitudes du Synallagmatique-ami tendent à se rapprocher de ceux du Philanthrope.

En résumé, un tableau


Type de salarié


Actif


Passif


Actif

 


Philanthrope

(cherche à aider bénévolement)


Synallagmatique copain

(échange en prenant +)


Passif

 


Synallagmatique ami
(échange en donnant +)


Pharisien-prestige

(cherche à prendre)

Tableau récapitulatif des trois figures du salarié

La lecture de ce tableau nous conduit à poser de nouvelles questions dont les réponses pourraient déterminer un nouveau paramètre : le niveau d’engagement du salarié par rapport à son ancienneté.

En l’incluant dans l’analyse, il permettrait au responsable du changement de définir avec plus de précision encore la définition des trois catégories types de salarié, d’une part, et indiquerait les fluctuations de l’environnement de l’organisation, d’autre part.

Autrement dit, la question à se poser serait : y aurait-il une évolution entre les diverses attitudes perçues : Pharisien-prestige puis Synallagmatique (copain puis ami) puis Philanthrope ? Si oui, quel en est le facteur ? Y aurait-il une durée au terme de laquelle le salarié prendrait la décision, consciente ou pas, de s’engager plus ou de quitter l’association ?

Nous entendons par « évolution de l’engagement » des phases successives par laquelle passe le salarié avant d’atteindre de façon utopique « l’engagement total ». Le salarié partirait d’une situation de « consommateur » (le Pharisien-prestige) pour évoluer, dans ses attitudes d’engagements, vers les caractéristiques du Synallagmatique (copain puis ami) puis vers celles du Philanthrope.

Pour répondre à ces questions avec certitude le responsable du changement devra communiquer par entretiens individuels et en groupe avec les salariés. Par expérience terrain, il semble que l’engagement évolue avec l’ancienneté ; parfois elle décroit, souvent elle croit.

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